Il en est des rencontres artistiques comme des rencontres amoureuses : fruit du hasard, elles reposent davantage sur le rêve et l’idéalisation, sur le choc émotionnel et fusionnel que sur une logique quelconque.
Il en a été ainsi lors de mes pérégrinations récentes au palais de Tokyo, où sa triennale d’art contemporain déroule ses frasques et ses traces sur des milliers de mètres carrés; Le palais de Tokyo est une institution curieuse ; Vu de l’extérieur, il évoque davantage un temple ostentatoire qu’une pagode ! A l’intérieur, le décor blanc et minimaliste, laissant à nu son architecture et ses structures éclairantes, est archétypal de l’art moderne : aux anciens les dorures et les boiseries, aux nouveaux, un dépouillement qui ne laisse pas d’être trop ostensible pour être honnête ! En sous-sol, on rejoint l’underground et l’atmosphère des friches industrielles, en circulant sur ce qui semble être d’anciens parkings, aux lumières glauques et aux tuyauteries engoncées d’amiante qui serpentent au-dessus de vos têtes ; Là, dorment de mélancoliques gardiens, que les vidéos et les bruitages, les structures en 3 D présentées semblent avoir plongé dans un mutisme de belle au bois dormant !
Dans les étages, la première impression n‘est guère favorable ! Les premières œuvres exposées paraissent relever de cette forme de supercherie qui consiste à dire que tout est art ! Quelques toiles minimalistes, une sorte de mikado de bâtons géants enveloppés de soie et un tableau où entrent des excréments d’éléphants sèment le doute ! D’autant qu’il faut chercher dans les petits panonceaux le sens voulu par l’artiste pour y saisir quelque chose. Et moi, j’aime bien qu’une œuvre me saisisse d’elle-même !
Pourtant, au fil des pas, c’est le bâtiment tout entier qui peu à peu semble vous enserrer, vous ingurgiter et vous secouer dans un flot d’étranges sensations ; Ses flancs abritent aussi un florilège de créations insolites, qui interpellent et forcent l’arrêt et l’attention. Ainsi en est-il du mur géant de Sarkis, où des photos géantes signent la violence d’un monde où les icônes se battent en duel avec le sang et la guerre, où des créations en tissu de l’artiste Nicolas Hloblo, en proie à ses crises identitaires. Ou encore de ces tableaux frappants où des femmes exposent à la fois leurs parties génitales offertes et leurs visages de madame tout le monde dans un alignement dérangeant.
Au chapitre de la créativité sans bornes, une petite vidéo formidable construit et déconstruit le corps et les membres de sa conceptrice, dont hélas je n’ai pu noter le nom, dans un ballet étrange et plein d’humour….et l’incroyable énergie d’un artiste touchant Eugenio Dittborn, qui, contre vents et marée et bravant l’oppression de son pays natal, le Chili, a crée un tout nouveau concept d’art aéropostal, envoyant au-delà des mers ses œuvres composites, réalisées sur papier plié et replié, et qui résonnent là comme un cri de liberté…
Et le tout agit et vous boit, faisant de vous non plus un hôte étranger, mais une sorte d’acteur de l’oppressante émotion qui habite là…sortir de l’exposition est comme sortir d’un ventre….
Je me suis permis une simple capture de quelques images, posées là juste pour donner une idée : ces œuvres méritent d’être vues in situ, et dans leur format originel, leur reproduction en format réduit ne pouvant qu’évoquer de très loin ce qu’elles portent avec elles….