Les délicieuses tortures du corps…petite philosophie du boudoir acte XVII

Posée au creux de ma langue (juste au milieu), l’attente devient fébrile : prescience du moment où, éclatant dans un duo d’amertume et de saveur sucrée, la première bouchée de la glace au citron maternelle (laquelle glace  tourne avec une exaspérante lenteur dans la sorbetière), fondra dans ma bouche ! L’or évanescent de la crème légèrement micacée devenant ainsi l’Eldorado atteignable de ma gourmandise d’enfant.

Je me demande souvent pourquoi nos religions condamnent avec une telle fermeté (doublée d’un insupportable aplomb), tout ce que notre corps peut porter et supporter de voluptés, (à côté d’une égale propension à souffrir par ailleurs). J’ai ainsi moult expériences d’extases diverses, engrangées à longueur de vie et qui ne sont pas même mesurables en degrés Fahrenheit : le grain d’un vélin sous l’index, la palpitation douce de la gorge d’un chat ronronnant, le velouté hurlant des plumes, l’extatique morsure froide des draps dans lesquels on se glisse et qui se rompt soudain dans la tiédeur…la couleur bronze et or se dégageant d’un vibrato de voix masculine, dans des basses d’orgues, le lavis qui lentement épure les contours d’un paysage quand la pluie de printemps fait chanter la terre…tout ce qui, par mes sens, m’habite….

Et son inverse, car le corps, lieu d’enchantement est tout comme l’esprit avec lequel il fait un, un objet de supplices ardents : cisailles coupantes de la migraine épluchant à vif le crâne, rage de dents, agression sauvage des couleurs et des sons, dont la dysharmonie parfois est violente comme une gifle ! Stupeur du sang qui coule sous une coupure, une chute, emprisonnement soudain dans la prison restreinte d’un corps qui, pour une raison quelconque, ne  veut plus fonctionner à notre gré…

L’histoire de l’art et de l’écriture foisonne d’écrivains meurtris dans leur chair et sachant pour autant sublimer douleurs et plaisirs, les façonner en chefs-d’œuvre. Clouée au lit pendant 5 jours par une grippe qui ne m’a pas même fait l’élégance d’être espagnole, j’ai ainsi pensé à Proust. A Proust et à Daniel Tammet, l’autiste savant dont je viens de lire l’autobiographie (je suis né un jour bleu). A Marcel, j’ai emprunté sans vergogne durant 5 jours l’odieux vertige de la respiration impossible, battant de l’aile dans ma cage thoracique, tirant sur mon poumon droit comme une cheminée affolée. Je n’ai pas eu son élégance de dandy mondain, je vous l’avoue ; moi, j’ai la maladie cireuse, et quelque envie que j’ai eu de jouer la dame aux camélias, j’ai plutôt ressemblé à Méduse, avec mes cheveux serpents repliés sur mon crâne frissonnant ! De Daniel, j’ai repassé dans ma tête, interminablement, les  témoignages profondément poétiques et sensibles de sa perception  synésthésique du monde, tellement proche d’un Rimbaud, tellement intelligible, et rappelant qu’il n y a pas qu’une seule lecture possible du monde et des sens.   Chez ces deux-là, ni soumission, ni sublimation, une écoute intelligente, une hyper préhension de ce qui est senti et plutôt qu’un rejet, un repli, une auto exclusion, l’accord avec soi et avec le monde, par la communication de l’expérience, par la tentative d’explication, par la lecture proposée d’un monde personnel….

Plutôt qu’une fracture, l’harmonie, le blanc d’où naît le noir, le sourire.

J’ai cueilli ce sourire, planté comme un drapeau sur mon corps courbaturé et avide ce matin de choses douces, voire lénifiantes : l’eau chaude et bénie coulant en perles, le café dont l’arôme revient, la première bouchée d’un feuilleté orné de grains de sucre et j’ai regardé le matin : cœur de pigeon et soie grège dans un plissé de violine : un paradis !

A propos Phédrienne

Je suis ce que j'écris, ce que je vis, et réciproquement, cela suffit sans doute à me connaître un peu :)
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9 commentaires pour Les délicieuses tortures du corps…petite philosophie du boudoir acte XVII

  1. A reblogué ceci sur lesgensdechauprix and commented:
    de bouche embouche

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  2. Je souhaite de tout cœur ta guérison mais ne peux m’empêcher de refaire le même constat, la fièvre, non seulement ne t’enlève pas ta capacité d’écrire mais augmente sa beauté…
    Ces sensations du corps, sublimées et décrites d’une manière, tactile, je dirais, à défaut de trouver un mot qui puisse exprimer mon ressenti profond….

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  3. RvB dit :

    À ta fièvre s’ajoute celle des mots.
    Je te souhaite un prompt rétablissement physique, Colette, mais de toujours garder en ton esprit cette fièvre créatrice.

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    • Phédrienne dit :

      Bonjour Hervé
      J’ai tendance à croire que mon corps a été littéralement débordé par ma furie créatrice et littéraire….qui a jailli en grippe soudaine et soudainement violente; Mais l’important est que ça vive ! Merci Hervé !

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  4. Superbe comme d’habitude! Je me suis rendu compte: ton paradis est sucré!!! Bisous

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