Aristote – La politique
Libres. Il n‘est sans doute pas de mot plus galvaudé que celui-là. Pas de terme plus revendiqué non plus. Et cependant, depuis que je suis enfant, et me regardant moi-même parfois dans mes actes et dans mes non actes, je me demande pourquoi nous sommes en général et globalement si résignés à un système, à un état, à l’organisation ostracisante d’un clan, d’une famille. Pourquoi nous sommes si peu équipés mentalement pour dire non ; pourquoi ce non est connoté d’une façon si diabolisante à l’heure où on nous prône (le on désignant d’une façon large les systèmes et les individus à qui cela profite) le consensus mou, la tolérance à tout crin, l’acceptation, la soumission.
Je regarde aujourd’hui le pays où je vis avec beaucoup d’étonnement et de gêne. J’y observe des gens se débattre au quotidien sans jamais se poser de questions fondamentales sur ce qui les entoure, ce qui agit sur et contre eux. Je les vois tendre le dos, et le cou, et toute leur énergie vitale à cette forme de non vie qui consiste à avancer coûte que coûte sur un chemin qu’on n’a pas vraiment choisi. Esclaves, oui, de nous-mêmes avant tout, de cet accablement posé en nous, et qui nous empêche de dire non, assez, ça suffit ! Qui nous empêche de croire que nous sommes assez capables de progresser, de faire évoluer et de construire d’autres choses.
Le postulat d’Aristote, même replacé dans son contexte, reste choquant ! Pourtant, il reflète aussi une forme de vérité historique transposable à notre époque moderne et Ô combien largement ! Il n est pas besoin d’avoir des fers aux pieds ni le fouet sur le dos pour être néanmoins esclaves. Et nous autres occidentaux savons assez bien faire peser ces jougs sur les états plus faibles dont nous continuons d’exploiter honteusement les richesses pour notre profit, laissant des enfants travailler, des adultes se détruire sans état d’âme aucun. Mais il me semble que nous oublions que c’est un système pyramidal où chacun, se croyant libre, est cependant assez facilement l’esclave d’un autre, qui détient sur lui un pouvoir plus ou moins légitimé : responsable hiérarchique, chef de famille, parent, élu, édile, argent, etc. la liste est fort longue ! Et que, nous voulant libres, nous ne savons guère nous demander de quoi et pourquoi ?
Je sais qu’employer un pareil terme peut paraitre choquant. Qui aura connu l’enfer de l’esclavage véritable, le droit de vie et de mort sur soi, pourra à juste titre venir me dire du fond de cet enfer qu’il sait lui de quoi je parle, et non pas moi ! Pourtant, tout cela se tient, est uni dans un même cercle, appartient au même état d’esprit, qui au nom de grands principes généralistes, fait de chaque homme un citoyen tributaire avant d’en faire un homme qui pense et qui agit, et qui assume ce qu’il pense et ce qu’il fait !
C’est pour cela que je garde en constance dans ma mémoire ces trois lignes si fameuses. Elles me titillent chaque fois que je m’apprête à mon tour à tendre le dos à ce qui ne me va pas, ne me semble pas bon pour moi ni pour d’autres, par fatigue vaine et parce qu’il est tellement plus facile de ne rien se demander…
Constat aussi effroyable que vrai. Il est aujourd’hui quasi impossible d’échanger avec les autres en pensant par nous même, sans prendre en référence les médias, les partis politiques auxquels on adhère ou que l’on exècre, les partis pris, les idées toutes faites… on répète, on n’écoute même pas l’autre dont chaque mot est plaqué avant même de sortir de sa bouche, telle une défense inversée comme on l’appelle dans notre rugby moderne qui consiste à tuer l’action avant qu’elle se développe.
C’est ce que nous faisons avec la pensée même. Comment peut-on revendiquer d’être libre si on prive l’autre d’exprimer sa pensée ?
Aujourd’hui on préfère dire que l’on est de gauche ou de droite, écolo ou frontiste, socialiste ou libéral comme si cela suffisait à dessiner le monde dans lequel on vit, se limitant aux idées de quelques uns, grands orateurs rassemblant des voix pour un résultat, le trophée d’une élection qui ne permettra rien d’autre qu’à les faire connaître ou à les enrichir quand l’essentiel de notre société ne bouge pas d’un iota.
Oui, Phédrienne, ou Aristote… Osons sortir de ces clans et penser par nous même. N’ayons pas peur de nous sentir bien seuls dans nos pensées, mais libres !
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Bonjour Antonio
Votre analyse et juste et très sensée.. Dans ce rapport à la liberté entre effectivement en jeu le rapport à l’autre aussi. J’approuve évidemment votre paragraphe judicieux sur le repli stratégique derrière un drapeau idéologique qui donne bonne conscience et dédouane d’agir !
Merci pour votre lecture sensible.
Amitiés
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La liberté est un bien précieux mais elle est si lourde à porter…
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Parfaitement analysé Elisabeth. Merci à vous.
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Il fallait du courage pour s’attaquer à cette montagne d’inertie, et quoi de plus normal, j’ai dans cette montagne trouver une résonance, un écho…
En montagne, évidemment, la progression est plus difficile, cahoteuse, voire dangereuse. Mais tu t’es assurée d’un guide expérimenté, et je ne manquerai pas de penser à lui lorsque moi aussi j’aurai envie de tendre le dos plutôt que de chausser mes crampons !
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Bonjour Hervé.
OUi, ce post se voulait aussi (avec une prétention que j’assume) un pense-intelligent!
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Esto me lleva al libro de Eric Fromme « Miedo a la libertad ». Muy buen artículo, Phédrienne.
Gros bisous.
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Merci pour cette référence, Brabra l’érudite! je vais aller voir ça de près ! Bisous !
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L’érudite, pas de tout ! Plus agée…
Gros bisous, chère Colette.
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