Parfois, j’aime m’égarer dans ma propre ville. D’ ailleurs ce mot est impropre ; je n’ai pas de ville et pas de port, ma maison dure et fragile dresse ses murs de papiers et ses racines affectives dans ma tête, je suis un arbre intérieur (ou une mauvaise herbe, c’est selon !). Comme je suis aussi dépourvue de sens de l’orientation qu’on peut l’être, il me suffit de descendre à un arrêt de tram que je ne connais pas et de marcher droit devant. Alors, il se passe une chose magique : la ville, le quartier se dévoilent dans leurs atours inattendus et c’est une foule d’histoires qui vous sautent à la figure : un peu comme des voix off qui se mettraient à chuchoter à vos oreilles des bribes d’existence. Qu’elles soient réelles ou intangibles n’a aucune importance : chacune révèle un pan d’humanité et suscite l’imaginaire, le tisonne comme un joli feu qui ne demande qu’à briller. Je m’étonne souvent que personne ne s’arrête là où je fige mes pas : la ville est une femme suspecte qu’il convient de regarder de près, il faut prendre son temps, s’arrêter le nez au vent, flâner. Attendre le jeu de la lumière qui soudain transfigure une scène dite banale en quelque chose de plus… éphémère, impalpble et émouvant.
Un arrêt sur image, c’est souvent un élan du cœur, un soubresaut de l’émotion qui va prolonger un petit quelque chose qu’on a à peine eu le temps de saisir sur l’instant. C’est ce que j’aime dans mes errances vagabondes, lesquelles renouvellent constamment un désir de découvrir, de se laisser emporter, et de transformer. C’est l’instant où je bascule entre le réel et sa transfiguration passagère, petit moment de voyage impromptu et si revigorant. C’est pour ça que l’image est un langage et non une restitution. Tout ce qu’elle touche se crée à l’instant du déclic et ne se retrouvera pas la seconde d’après ; un petit pas vers l’infini de l’imaginaire, en quelque sorte !