Mon corps a ses raisons…petite philosophie dans le boudoir, acte LXXXV

J’aimerais vous raconter une chose un peu improbable. Elle tient à mon passé et se revêt d’un voile d’impudeur, mais que je franchis, parce que cela peut éclairer peut-être d’autres que moi.

J’ai eu longtemps pour le corps, le corps des autres et le mien en particulier, plus de terreur et de répulsion que d’envie. J’ai grandi en effet en me croyant très laide, c’est ce que tout le monde disait autour de moi et que j’ai cru, parce qu’un enfant croit autant ce qui le dessert que ce qui le construit : mensonge ou vérité, en tout cas, l’effet corrodant, sapant toutes les strates de construction de mon être, était efficace et laminant. J’étais au demeurant une enfant brillante et précoce, affutée et sensible comme une feuille jetée au vent. Mais je ne pouvais me construire dans ce désamour qui m’était donné et j’ai vécu longtemps comme un puzzle désagrégé : il y avait des bouts de moi qui agissaient, qui décidaient quelque chose, qui s’exprimaient avec force, mais jamais un tout cohérent ne dressait sa silhouette ferme et fière sur la scène.

C’est un drôle d’état, savez-vous que cet état  qui fait pourtant illusion : mon intelligence y palliait assez bien et je ne crois pas que beaucoup aient pu percevoir cette terrible faille narcissique qui commettait ses ravages au quotidien.  L’enfant brillante et rieuse que j’étais alors ne pouvait guère passer le cap de l’adolescence sans encombre : je décidais de maigrir et de refuser un corps de femme qui m’annonçait les prémices d’un nouvel enfermement mental : celui de la condition féminine, femme objet, femme manipulée, mère sans doute, ce qui ne me disait rien.

J’aurais préféré être un ange, non pour des raisons religieuses ni morales mais parce qu’un ange n’a pas de sexe et dispose d’un corps, disons, secondaire. En réalité, j’étais anorexique, vérité sur laquelle je n’ai mis un nom que des années après, au détour d’un reportage où j’ai regardé avec stupeur mon double décalé exposer sa silhouette filiforme et ses souffrances. Dans mon milieu, simple et populaire, ces maux ne se disaient pas et se soignaient moins encore et on me regardait maigrir et me dissoudre peu à peu sans une interrogation. Mais on ne choisit pas l’anorexie, elle s’impose et vous emprisonne. C’est sans doute par refus de cette prison-là que j’ai recommencé à manger, car décidément, quelque chose en moi s’obstinait à exister.

Ne croyez pas au demeurant que j’étais lugubre ou gémissante : j’étais rieuse, efficace au travail et parfaitement à même d’aider autrui, ce qui bat en brèche pas mal de théories sur le sujet, mais, étrange ou pas, c’était ainsi. Il a fallu que je sois mère pour que la jonction entre mental et chair s’opère enfin, avec la réappropriation tranquille de tous mes sens, complément harmonieux et indispensable du reste. Et pour que j’investisse définitivement une façon d’être femme sans préjugés, à ma façon libre, rebelle, sensuelle et assumée.

Depuis, je m’essaie il est vrai à être une belle personne : davantage à la façon de l’honnête homme du siècle des lumières ; parce que l’espèce de transversalité qui y prévalait me convient très bien. Parce que le corps sujet aux jouissances comme aux douleurs parfois, n’est pas mon ennemi, ni un fardeau tronquant à tort nos capacités de connaître et d’investiguer. Il est lui aussi ce que je veux en faire en opérant mes choix de vie. Il est ce que je suis…

 

A propos Phédrienne

Je suis ce que j'écris, ce que je vis, et réciproquement, cela suffit sans doute à me connaître un peu :)
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6 commentaires pour Mon corps a ses raisons…petite philosophie dans le boudoir, acte LXXXV

  1. Antonio dit :

    Ah, le corps! on le comprend toujours sur le tard, quand on se décide enfin à l’écouter, et quand il peut encore s’exprimer.
    Pourtant quand on nait c’est la seule fois où on dit vraiment à quelqu’un « Oui pour la vie ».
    Parce que mon corps c’est quelqu’un… c’est même quelques uns.
    Et qu’est-ce qu’ils causent tous !
    C’est une chance de s’arrêter pour les écouter, de quoi méditer bien sûr!
    Enfant on est en parfaite osmose jusqu’à ce qu’on nous sépare, souvent très tôt, pour nous envoyer en pension complète dans notre mental, notre pensée, notre raison.
    Le corps, on ne lui accordera que le temps des maladies, des douleurs avec un regard mauvais pour la misère qu’il nous fait.
    Puis l’adolescence le condamnera à ne pas exister, à se taire au minimum…
    L’adulte l’ignorera, tant qu’il reste muet et dans son coi…
    Et puis un jour, un jour de jogging, de remise en forme où on s’écoute aller au delà de soi… on commence à entendre des petites voix, le foie, l’estomac, le souffle les portant jusqu’à moi… le coeur bien sûr, les muscles presque se taisent pour une fois, l’acide lactique ne l’ouvre pas plus…
    Bref… on se sent vivant, on se sent plusieurs, on se sent unis…
    Comment exister sans eux, sans lui… Je vous ai dit « oui pour la vie »… je comprends le sens de cet acte, celui d’une renaissance, et surtout je m’emplis de tous ses sens qui sont le seul sens à une vie…

    Je vous écris cela en un jet, comme l’accouchement évident de ma pensée, comme elle vient pour prendre corps car le corps c’est la matière et il n’y a pas de pensée sans matière. Qu’est-ce que je raconte ? … vite, je coupe le cordon ! 😉

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  2. Merci, Colette pour ce courageux et émouvant témoignage… cette « atteinte au corps » peut peser si lourd… heureuse que tu t’aies réapproprié ta féminité, et tu es belle… dans tous les sens du terme

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  3. Phédrienne dit :

    Merci beaucoup Elisabeth
    Les confessions n’ont de sens que si elles peuvent faire …sens pour d’autres; J’espère humblement que c’est le cas et que cela pourra donner des leçons d’optimisme joyeux !

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  4. Bonjour Phédrienne!
    Tout cela t’a fait plus belle encore et j’y pense come Berger Elisabeth.. tu es belle dans tous les sens du terme…
    Gros, gros bisous.

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  5. Phédrienne dit :

    Bonjour Barbara, je me laisse séduire par la gentillesse spontanée de tes mots; Merci beaucoup !

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