Je sais l’avoir déjà exprimé, mais je reviens avec insistance sur ce qui, pour moi, constitue l’essence même d’un être : sa pensée, exprimée dans ce qui lui est le plus personnel, sa parole, restituée avec le bagage qui lui est propre, dès lors que ce dernier est débarrassé peu ou prou des scories imposées par son clan, du jargon copié sur d’autres, auxquels j’ajoute la peur, devenue si manifeste, de choquer, d’être non conforme, d’être jugé. Les lieux où ces tendances s’inscrivent de la façon la plus marquante sont les réseaux sociaux, où pourtant chacun défend avec âpreté une liberté d’expression devenue l’os à ronger du moment, et sur lequel chacun a quelque chose à dire, pourvu qu’il puisse s’abriter à cet effet derrière la parole d’un plus loquace et d’un plus reconnu que lui.
C’est sans doute ce qui me paraît le plus étonnant : là où le net donne en effet la parole aux muets d’hier, on pouvait s’attendre à trouver la fraîcheur d’une expression sincère, emblématique de la pensée de son auteur, et libre à peu près de toute espèce de conformité. Mais il n’en est rien. Une véritable avalanche de références à la parole d’autrui, aux pensées de philosophes dont je doute un peu qu’ils aient été lus dans leur entier, à des «experts » très discutables, aux articles émanant de toutes sortes de médias auto proclamés ou non, s’y déverse avec une régularité sans failles.
Bien qu’il existe une sorte de prise de conscience collective de la manipulation que représente toute communication, qui est tout aussi faite pour convaincre que pour informer, la tentation de s’emparer du fait tout frais qui vient de tomber là, sur son fil ou celui du copain, surtout lorsqu’il étaie notre conviction, est la plus forte : pas de distanciation critique, pas d’analyse, pas de questionnement sur les tendances politiques ou idéologiques des auteurs, pas de recherche. L’article, la vidéo, la citation sont reproduites in extenso et se dupliquent comme les petits pains bibliques.
Mais plus encore, un certain rétrécissement du langage se fait largement sentir : il ne s’agit pas en effet de trop se départir de la pensée tacitement admise par le courant social ou politique auquel on se réfère, plus ou moins. Il s’agit aussi, de façon tacite, de choisir son camp et de s’abstenir de tout chemin buissonnier qui pourrait vous entraîner sur la pente fatale de la subversion. Gare à celui qui ne bannira point fermement de ses lectures tel auteur jugé moralement irrecevable ou tel journal ! Gare à celui qui emploiera désormais un langage devenu suspect, que chacun s’arroge le droit de censurer avec un aplomb qui m’étonne, sans souci ni des outrances, ni souvent, de l’étymologie ou de l’histoire propre du mot (je suis là-dessus, aussi ignorante que beaucoup, mais je me renseigne, ce qui est aussi donné à tout le monde).
De ce fait, cette sorte d’orthodoxie langagière, qui, hélas, se fait beaucoup moins sentir lorsqu’il s’agit de syntaxe ou de grammaire (soit dit en passant), génère un climat pesant, une ambiance délétère où l’esprit léger, la gaieté et surtout la spontanéité en prennent un sérieux coup dans l’aile. Quant à l’humour, n’en parlons pas ! C’est le grand perdant de l’histoire puisqu’il paraît bien aujourd’hui que ce qui est « le propre de l’homme », n’a pas vraiment le vent en poupe. Pourtant, je crois qu’on ne peut rire que de ce que l’on comprend, sachant que chacun de nous peut aussi prêter le flanc au rire de l’autre…ce qui sera toujours bien meilleur à mon sens que l’invective ou les coups reçus ou portés pour avoir le droit de se faire entendre…
Il faut peut etre en cette période ,justement avec les mots ,réapprendre le silence,la distance ,le temps nécessaire à une meilleure cuisine intellectuelle afin de mieux apprécier la connerie galopante ,ambiante ,boulimique !!!!!!
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Bonjour Gérard,
Vous avez raison, sans doute, et j‘essaie d’alterner les deux, mais j’ai néanmoins très envie de résister à ma façon à ces odieuses manipulations auxquelles nous assistons pour confisquer la parole à certains, faire des penseurs non orthodoxes une bête à mettre au pilori, je déteste cela.
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