Je vous en prie, prenez parfois un peu de temps : quelques minutes de concentration intense et arrêtez-vous sur quelques-unes des phrases que vous venez de prononcer : soit dans le cadre d’une conversation personnelle, soit devant des collègues ou des clients. Essayez d’en extraire les mots clefs et vous serez surpris de ce que votre bouche a formulé, presque malgré vous. Vous serez étonné d’y retrouver tant de mots stéréotypés empruntés au langage de votre métier, évidemment, mais aussi à celui des médias et des réseaux, de ce bagage devenu commun et que nous recevons passivement.
Bien sûr, le langage est un patrimoine commun, et dont n’avons pas la faculté de créer le nôtre, ce qui serait une aberration puisque nous ne communiquerions qu’avec nous-mêmes ; mais enfin, nous disposons d’un nombre suffisamment élevé de termes et de combinaisons exponentielles pour rendre notre langue flexible, nuancée, habillée de quelque chose qui nous ressemble. On ne le prend jamais assez suffisamment en compte, mais le stéréotype du langage accompagne sans coup férir celui des pensées, les rigidifie, en rétrécit le champ. Notre esprit et la façon dont nous l’exprimons sont à la fois poreux, malléables et extensibles, quasiment à l’infini. Chaque fois que nous tentons de mieux cerner notre pensée et celle d’autrui, que nous faisons l’effort de nous questionner, de chercher un terme plus adapté, nous étirons notre esprit, nous lui donnons de l’air, nous le développons. Chaque fois que nous craignions, en usant d’un mot différent, de paraître arriéré ou choquant, de ne pas appartenir au clan, nous en amputons un petit fragment.
Souvent, quand je pense à nos si lointains ancêtres, chez qui l’apparition du langage reste un mystère inexpliqué, je me félicite du petit miracle qui les a conduits à diversifier leur champ lexical, à le moduler, à le laisser prospérer dans des directions si différentes. A y inclure aussi l’humour et la distanciation, le jugement critique qui ne saurait s’exercer sans un bagage de mots suffisamment étayé, tous garants d’une liberté de jugement si précieuse et qu’il ne faut pas scléroser. Les bases de nos civilisations quelques soient leurs limites et insuffisances par ailleurs, reposent sans doute sur cette faculté, si précieuse : tenter de s’approprier et de personnaliser une façon de s’exprimer qui reste intelligible et soit partagée néanmoins avec nos interlocuteurs.
La pensée unique, le formatage de l’esprit par ces mots jargonneux répétés en boucle autour de nous sont des contaminants très efficaces. Y mettre parfois un petit coup de plumeau facétieux et impertinent, y faire barrage en s’interrogeant, échapper au psittacisme si répandu, c’est comme emprunter un chemin de traverse dans un territoire d’explorations multiples ; essayez !
Oui, avec joie, même si je ne posséderai jamais ta maîtrise des mots, Colette
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Bonjour Elisabeth
Je trouve pour ma part que tu t’en sors très bien, mais je te remercie !
Bisous Elisabeth
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