Qui cumule plusieurs fonctions (et dans le milieu de l’écriture, nous sommes nombreux), comprendra aisément ce dont il s’agit ; la partie de ma petite personne qui se démène pour promouvoir son travail de rédaction « commerciale » emprunte donc régulièrement le parcours de tout entrepreneur qui se respecte : prospecter des clients et faire des ronds de jambe dans les salons et séminaires ou dans les célèbres réunions de speed dating où l’on apprend, en deux minutes chrono, à faire briller son matricule devant des gens plus attentifs à se vendre qu’à vous entendre.
La pratique du rond de jambe est un sport qui nécessite de l’endurance et une certaine flexibilité de la colonne vertébrale, particulièrement au niveau des lombaires. Elle se heurte souvent à maints obstacles inattendus : comme, par exemple, la faculté que votre esprit a de se détacher tout soudainement de la réalité qui vous entoure pour passer à tout autre chose. Où une propension (assez marquée chez moi), à remarquer le détail qui tue ou qui fait rire chez l’interlocuteur qui vous fait face : la dame très très chic et couverte de bijoux de prix qui pique discrètement le stylo de sa voisine, le monsieur qui boit à toutes les tables de speed dating et oublie qu’il vous a déjà vue deux fois, le petit jeune homme verbeux et compassé qui vous présente un projet très ambitieux puis déplie soudain une feuille A 4 couverte de griffonnages au crayon en guise de dossier. Avec comme conséquence, désastreuse pour votre servante, l’émergence d’un rire particulièrement craint de mes amis (essayez donc pour voir !).
Autre corrélat du rond de jambe, la nécessité de se fondre en tout milieu, de se frotter à des univers et des profils foncièrement éloignés de votre métier. Parfois, la chose est très croustillante ou tient du pari impossible : essayez donc de partager votre passion de l’écriture, laquelle sous-tend tout votre travail dont vous ne jugez aucune partie comme étant seulement alimentaire, à un banquier, un juriste ou un expert en patrimoine. Lequel concentre soudain ses yeux sur vous tandis que son disque dur s’emballe : qu’est-ce qu’une cigale peut bien posséder, non d’un placement ? Il arrive néanmoins qu’une forme certaine d’admiration se lise aussi dans ces opaques prunelles, car enfin et à son corps défendant, l’écrivain rédacteur partage avec l’assureur une forme avérée de prise de risques, eh oui !
Parfois, le tout se transforme en échange vibrant et amusé et la jargon professionnel cède la place à un vrai dialogue. Parfois, le conférencier prétentieux perd légèrement la face quand je lui signale en aparté, aimablement et sans avoir l’air d’y toucher les fautes qui émaillent son powerpoint (imparable). Souvent, l’humain se faufile peu à peu au détour d’un rire ou d’un étonnement. Alors cette terre un peu hostile, très étrangère à mes pratiques ordinaires, redevient habitable. Et le rond de jambe fait place au cercle du verre avec lequel on trinque autour d’une même envie de continuer à faire vivre ce qu’on aime faire…