Il existe un paradigme de la liberté qui fonde cette dernière sur un principe, qui serait inaliénable, d’égalité. Cette belle revendication de nos révolutionnaires devrait logiquement trouver son plein épanouissement dans le domaine de l’expression écrite, avec la multiplication des auteurs du 21ème siècle, qu’ils soient auto édités ou non. Que le statut d’écrivain ne puisse être validé que par une communauté de ses pairs ou le nombre de ses ventes réelles, est un débat dans lequel je ne saurais donc rentrer ici : au panthéon des grands auteurs, le temps est impitoyable sans être juste pour autant et il faudrait bien d’autres critères que l’usage ou l’entrée dans les manuels scolaires de son époque pour fonder une sur ce thème théorie inattaquable.
Ce qui m’intéresse davantage ici, c’est l’humain, l’émotionnel et les préjugés dont nous ne savons nous défaire, quelle que soit notre prétention à réclamer un monde meilleur et surtout, plus égal. Haro donc sur l’auto édition, laquelle ne serait qu’un attrape gogo pour scribouilleur impénitent ; haro sur les salons, les prix littéraires, les concours et les bourses, sauf quand on en profite soi-même ; haro sur la prétention d’écrire sauf si on a un talent reconnu pour cela. Et c’est bien là où le bât blesse : dans un système où le statut d’écrivain est assez peu défini, qui donc en jugera ? Dans un milieu éditorial où l’obligation de vendre doit égaler au moins le désir de qualité, qui validera le talent ? Dans un milieu de lecteurs où votre niveau de culture vous classe assez impitoyablement, qui revendiquera un goût, une préférence en marge du discours commun ?
Au-delà existe une réelle difficulté de beaucoup à s’extirper d’une vision convenue qui a pris sa source dans les siècles passés, lorsque l’écriture livresque était réservée à quelques-uns : une forme de privilège de classe rarement contesté. Cela a laissé des traces : à l’exaspération du lettré qui s’indigne de l’ignorance du vulgaire, répond souvent son refus d’élargir le cercle de ses lectures à de nouveaux impétrants lorsque ceux- ci ne sont pas propulsés sur le devant de la scène avec force trompettes et moyens. A sa certitude d’être dans son bon droit, dans un jugement équitable et légitime de ce qui est recevable et de ce qui doit être rejeté au nom du bon goût, de l’exigence, et de ce fameux et discutable talent dont lui saurait mesurer l’étendue, répondent son exaspération et sa peur de voir entrer dans le précieux cénacle des écrivains, ce fameux » n’importe qui », que l’on veut bien égal à soi, mais sur d’autres principes, non mais.
Tous ces comportements sont très clairement lisibles quand on se balade ici et là sur des blogs littéraires, dans les tribunes et sur les réseaux où d’aucuns partagent leur expérience en la matière. Pourtant, à l’heure où l’ignorance et le dédain affiché pour la langue française prévalent, nous devrions tous nous réjouir que la vocation littéraire s’emballe, sachant que le tri de toute façon sera fait et pas toujours dans le sens que l’on pourrait croire).
D’où il s’ensuit qu’en matière d’égalité et quel que soit le registre concerné, nous devrions tous bien réfléchir à ce que nous défendons lorsque nous prétendons défendre un vrai statut d’écrivain …