Je me demande souvent pourquoi nous éprouvons un tel besoin de nous abriter derrière la pensée d’autrui (s’il est célèbre), pour étayer nos propres convictions, qui par là même prouvent davantage leur fragilité que leur assise. Le net et son déversoir de florilèges ont ancré cette pratique et chaque jour apporte son lot de maximes de plus ou moins bon cru. Lorsque ces mots ouvrent sur une curiosité, une réflexion, c’est évidemment un moindre mal et au moins ces maximes sont-elles bien rédigées pour la plupart, ce qui est pour moi plutôt réconfortant (et formateur). Cependant, les médias nous ont largement démontré qu’en sortant une citation, une déclaration, de leur contexte, la mésinterprétation, voire la manipulation d’opinion, n’est jamais très loin ; je me demande donc assez souvent quelle est l’intention véritable de ces pratiques (sans tomber toutefois dans des soupçons malsains, je vous rassure),
Ces derniers temps, il semble toutefois que le manichéismes prenne très largement le dessus sur la distanciation, la remise en question ou l’analyse critique : bombardés que nous sommes (si nous laissons faire) par un flux ininterrompu d’images et de phrases toutes faites et très itératives, notre vision du monde et notre expression se rigidifient de manière spectaculaire ; je n’ai jamais vu circuler partout un tel flot d’anathèmes et de propos comminatoires : celui qui ne pense pas comme moi est contre moi, voire contre tous ! Cela me navre énormément parce que cette tendance marque un recul et non un progrès ; être libre de ses pensées et de ses propos n’est pas la même chose qu’éructer des avis sentencieux sur tout, en n‘acceptant aucune discussion contraire, et je m’efforce donc moi-même, sur certaines questions, à un silence obstiné : plutôt me taire que hurler avec les loups, bêler avec les moutons ou prétendre savoir ce que j’ignore, si je le peux ! Néanmoins, je suis particulièrement gênée que l’on prenne si peu de cas des intentions et des sensibilités des auteurs, fussent-ils morts ! D’aucuns drapent donc leurs bonnes (ou mauvaises) pensées dans les mots d’autrui, parfois même en pastichant tel ou tel écrit, tel ou tel auteur, appelé bien malgré lui en renfort d’une cause qui n’aurait peut-être pas été la sienne de son vivant.
Il me semble qu’être adulte, c’est commencer à penser (et à se tromper, ou non ) par soi-même. Si nous recourons à la parole d’autrui, faisons à tout le moins à ces auteurs l’honneur de les étudier d’un peu plus près, avant de leur assigner une tâche qu’ils n’auraient sans doute jamais réclamée !
Et ainsi le dormeur du val restera-t-il bien au frais…