Bouderie en boudoir, petite philosophie du même nom, acte XLIV

Certains cerveaux paraissent ressembler à ces logements neufs où chaque tiroir file sans bruit sur sa glissière pour ne plus rien laisser voir qu’une fente à peine visible ; épure des lignes, sobriété du blanc et du noir, pudeur de l’ordre et du minimalisme. Je crains fort que le mien ne ressemble davantage à la chambre d’une grisette d’autrefois, la juvénilité mise à part. Dans mes angles et recoins ombreux, mille couleurs dessinent un patchwork hasardeux, le désordre s’ose et la poussière s’accumule parfois. Il arrive aussi que mon cerveau me désobéisse, qu’il fasse preuve d’une rebelle autonomie et que sa fantaisie naturelle se hérisse devant mes tentatives de domptage. Comme lorsque, au prix d’une volonté tenace, je m’efforce de tenir la bride à mes pulsions iconoclastes, à mes irrésistibles envies de chatouiller à rebrousse-poil les tendances normatives de notre époque.

Rien n‘y fait donc : si je tire la langue, je la trouve chargée de piques saugrenues, de réparties saillantes, et d’adjectifs de mauvais goût. Entendez par là qu’il vaut souvent mieux aujourd’hui taire ses pensées sincères au profit d’un langage policé ou plus exactement admissible.

Si mon cerveau me boude aujourd’hui et se cabre tout seul chaque fois qu’il entend ces mots clefs qui le font bondir et dont nous sommes abreuvés aujourd’hui, force m’est de devoir m’en attribuer la pleine responsabilité.  Cela m’apprendra à tomber dans les livres comme on sombre dans un tonneau de vin et à m’imaginer avoir le droit ensuite de parler et d’écrire comme cela me chante ! Mais où vous croyiez-vous donc, Madame, dans un pays de libre expression ? que nenni !

Bien obligée de ce fait d’enrouler ma langue sur elle-même comme un fil de réglisse pour retenir, souvent in extremis, les petites choses impromptues qu’elle pourrait laisser glisser,  je dois donc accepter les dérapages amusants et évocateurs que ma matière plus grisée que grise, s’amuse à produire : aussi ai-je failli écrire à un infortuné que rien ne me faisait plus vomir que son invitation et à un autre que sa barbarie (et non le barbarisme dont il venait d’user) n’était pas du meilleur effet …ainsi mon cerveau boude-t-il dans son boudoir et je m’en vais prestement prendre un fauteuil et m’y installer en face de lui, histoire de lui apprendre qui est le maître en ces lieux, non mais !

A propos Phédrienne

Je suis ce que j'écris, ce que je vis, et réciproquement, cela suffit sans doute à me connaître un peu :)
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2 commentaires pour Bouderie en boudoir, petite philosophie du même nom, acte XLIV

  1. Antonio dit :

    A cerveau encrassé, beaucoup préconiserait un lavage. D’autres de lui trouver une cervelle pour remettre de l’ordre dans sa case qui lui manque. Moi je pense que le cerveau est un animal sauvage qui n’est pas fait pour le béton des pensées des villes et qu’il faut libérer sur le champ pour qu’il reprenne le pouvoir sur l’homme dans sa vraie nature.

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