Hexagonal

tite ColetteIl ne se passait pas un jour sans qu’il ne dise : «  Pauvre France, tu es foutue ! ». J’avais fini par considérer mon pays natal comme une femme battue, injustement soumise à de bien mauvais traitements, sans toutefois comprendre de quoi il retournait.

J’habitais donc en « pauvre France », très exactement à Noisy le Grand, dans un territoire rendu tristement célèbre par l’Abbé Pierre et Emmaüs. Lorsque j’allais en centre ville, lequel  se bornait alors à une mairie qui avait abrité Joséphine de Beauharnais, je longeais d’ailleurs un long bidonville qui a perduré longtemps. De l’autre côté du grillage, les cahutes et les tas d’ordures  constituaient un autre monde, inintelligible pour moi. Était-ce cela ?

La pauvre France d’alors se réduisait pour moi à pas grand chose ; il faudrait la bibliothèque de l’école, d’ailleurs plutôt chiche, pour que s’ouvrent les portes d’un plus grand univers : était-il aussi foutu, celui-là ? je n’osais pas questionner mon père et son pessimisme criant. Elle avait aussi le goût du Paris-Brest du dimanche acheté quasi religieusement. Du marché de la ville qui n’avait rien d’exotique. Et de l’école communale où j’apprenais qu’être rond, premier en classe  et porter des lunettes était plutôt de mauvais ton.

C’est de ces années–là que m’est venu un doute souverain  (qui ne m’a jamais quittée depuis) sur le sérieux des adultes. Parce qu’enfin, cette pauvre France sur laquelle mon père soupirait, on ne faisait pas grand chose pour la redresser ! Il y avait un problème et voilà tout, lequel resterait intact. J’étais donc condamnée en quelque sorte à grandir en « pauvre France » et on me priait en plus d’en sourire et de m’en contenter. Impossible, bien entendu ! De là m’est venue aussi la manie d’imaginer dans ma tête une autre façon de vivre : parce qu’enfin, tout cela n’était guère folichon. Et puis qu’encore, dans mes livres lus scrupuleusement de la première majuscule au dernier point, les choses ne se passaient pas ainsi ! Foin de la fatalité et de la résignation ! Foin d’un réel qui pourrait bien avoir un autre goût  si on s’en occupait !

Je n’ai jamais vraiment su ce qui avait ainsi obscurci les idées de mon père ; sans doute une vie trop difficile, trop lourde à porter.  Mis je me suis toujours dit que s’il avait changé, ne serait-ce qu’un jour, les verres de ses lunettes  pour essayer d’y mettre un léger prisme d’optimisme, ses jours auraient été plus légers. Les nôtres aussi.

La pauvre France, quant à elle, continue d’exister en tant que telle dans la bouche d’autres colporteurs de fuligineuses idées ; je les comprends nonobstant, parce que parfois, souvent, la situation ne prête guère à sourire.

Mais je ne peux pas m’empêcher de rêver parfois à ce que pourrait être un beau pays … cette définition-là ne m’ayant jamais été fournie.

A propos Phédrienne

Je suis ce que j'écris, ce que je vis, et réciproquement, cela suffit sans doute à me connaître un peu :)
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