Ici gît un apparent désordre

Mais chaque objet raconte une histoire. Je m’assieds parfois dans l’herbe, à la façon des gosses qui se fichent bien de leur tenue, franchement, cavalièrement, les jambes étendues devant moi, la jupe en vrac, et je regarde sans rien dire. Ce sont les objets qui me parlent : tiens, le sac oublié après le départ du dernier chat d’Émilie, ce sac que sa vieille main a oublié de refermer et que guignait sans cesse le gros chat noir panaché ; ce lieu, le saviez-vous est une arène terrible où des diables griffus ont mené maintes joutes. Du sang y a coulé, moult cris terrifiants signant la nuit une féline conquête et quelques soumissions…les écuelles sont vides mais l’orage y fonde des piscines à moineaux, lesquels sont bien à la fête maintenant…

Le trône de la reine tend ses deux bras costauds, mais bien malin qui se risquera à ôter de là ce plaid bien plié. Il faudra attendre que le temps ait démaillé sa trame jusqu’au dernier fil … et on trouve en journée le vélo rutilant du seul philanthrope des lieux, charmant médecin qui enfile son béret d’ouvrier après sa journée de travail et s’en va, blouse pliée et pédalant comme un prolo…

J’aime bien les vieux objets, les trucs qu’on met au clou ; ils ne sont jamais triviaux, les objets, jusqu’à ce que nous les dépossédions de ce qu’ils ont été pour nous. Ici, ils prennent de la patine non loin d’un olivier en pot qui se dorlote au soleil du sud et face à un palmier dont le tronc soutient mon dos.

J e m’assois, regarde et je ne dis rien, après avoir fait le tour des fleurs. J’écoute. Je laisse la chaleur m’écraser, la sueur tremper mon cou, ruisseler dans mon dos. Je regarde jusqu’à ce que je ne voie plus rien.

Dans le jardin, les grands rosiers desséchés conservent leurs fleurs de papier de soie parfaitement décolorées. Aucune main ne vient plus les tailler.