Quatre petits étages desservis par un escalier vénérable me séparent du jardin. Parfois, quand j’y descends. Je mets mon oreille contre un des vieux murs et j’écoute, yeux fermés Il pourrait raconter les rives de la Rize dont on a enfermé le bras sous des tonnes de bitume, au siècle dernier. Beaucoup de citadins ignorent que là où passent les voitures, les bras puissants des lavandières tordaient les draps, autrefois.
Découpé entre l’architecture puissante des bureaux à gauche, et des immeubles moins archaïques que le mien, le jardin est un peu à l’étroit, mais il résiste. Il pousse ses vieux arbres et sa clôture à l’assaut des murs voisins, sachant bien que les racines et radicelles sinuent partout et se moquent bien du béton. Vétuste et charmant comme une vieille grand-mère en tablier d’autrefois, il offre ses sièges de jardin en tôle, un palmier, un figuier dont je guette les fruits, des rosiers anciens, des parterres maladroitement bornés de pierres, et l’échancrure soudaine du ciel, vaste poitrine bleue débordant du corsage de la ville.
Il y a peu, une mienne voisine et moi-même y sommes descendues à pas menus, l’une portant une boite de biscuits maison, l’autre, un plateau garni d’une théière fumante et de deux tasses. En été, la nuit ne tombe pas, elle déploie sa robe avec faste après avoir dompté les fougueux élans du soleil.
Nous étions seules dans le silence approximatif que la ville concède si difficilement, même au cœur de l’obscurité.
La nuit finit toujours par vaincre les bavardages, c’est pour cela que je l’aime tant. Il ne restait donc plus qu’à basculer la tête et à boire l’un après l’autre les petits scintillements des étoiles … à se laisser brasser dans les grands draps réglisse qui lentement nous ont préparées au sommeil…