Ma mère, dernière rejetonne tardive d’une fratrie de 4 enfants, fut élevée en partie chez des sœurs. Captivant était pour moi le récit rocambolesque des années qu’elle avait passées là sous la férule moyenâgeuse de sœurs obsédées par le péché. Ainsi le rituel de la toilette répondait-il à des normes strictes. Il fallait se laver à l’abri d’une cape de tissu qui couvrait entièrement le corps depuis le cou jusqu’aux pieds, histoire sans doute de ne pas susciter d’émoi pervers chez ses coreligionnaires. La malheureuse qui mettait un peu de temps (ou de soin ?) à sa toilette était aussitôt rabrouée par une sœur vivement venue à la rescousse, et toisée avec suspicion.
De la même façon, ma mère était priée, chez elle, de sortir de la pièce où un bébé de sexe masculin était changé, des fois que la vue de ses minuscules parties génitales ait agité chez cette agnelle de troubles penchants. Tout ceci aurait pu paraître anecdotique et risible mais ma mère s’était parfaitement rendu compte, avec le recul, de la façon dont ces modes de faire inspirés par le dogme et la foi, avaient influencé la façon dont elle se percevait elle-même et le monde qui l’entourait. Il lui fallut des années de saine réflexion pour s’en dégager et nous devons, mes sœurs et moi, à son intelligence et à son amour, d’avoir pu choisir librement nos façons de vivre et de penser. Et quant à moi, j’ai pu comprendre en l‘écoutant, combien il est vain de vouloir dissocier le religieux du reste de la vie, à l’intérieur de laquelle toute croyance insuffle ses préceptes et ses strictes interdictions. Libre à chacun donc de croire, oui, et de revêtir la cape qui lui convient. Mais non de s’illusionner …