Petite, j’ai tenu un jour un globe terrestre entre mes mains. Il était en plastique, pivotait cahin-caha sur son axe et déroulait des couleurs un peu criardes. Néanmoins, ce concentré d’univers constellé de noms minuscules était puissamment porteur d’imaginaire et presque autant que les livres dont je me régalais. A la façon de Philémon arpentant le monde du A, je trottinais dans ma tête le long de rues peuplées de sonorités chantantes ou inquiétantes ou sautais d’un pas de la savane à l’Arctique. Etant enfant, jamais la question de savoir si un mode de vie était plus élevé ou riche que l’autre ne m’est venue, je l’avoue. Aucune notion d’égalité ou d’injustice ne troublait alors mon front peu encombré, il est vrai. Par la suite, les échos médiatiques d’un monde résonant de tumulte et de guerres incompréhensibles pour moi sont venus jeter leur trouble et pâlir les couleurs du petit globe de plastique. Des lectures plus exotiques (n’ayons pas peur des mots) mais aussi plus heurtantes m’ont ouvert peu à peu les portes symboliques de territoires où les règles étaient différentes, et le danger sans doute présent ; mais quelle excitation c’était de savoir que d’autres couleurs peignaient le monde et d’autres voix !
L’âge venant n’a pas éteint ce sentiment de richesse et d’inventivité de la nature (à côté d’une juste révolte devant les conditions de vie de beaucoup et les raisons y afférentes) mais aussi de ce qui la peuple au sens large du terme. S’intéresser à l’ailleurs et à l’autrement est resté une merveilleuse façon de ne pas dormir sur ses assurances, et de mettre en doute toute vision unique du réel : quel choc mais aussi quelle chance pour un écrivain !
Je n’ai jamais prétendu non plus me défaire de tout préjugé et de tout recul vis-à-vis de mœurs que je ne comprends pas ou qui peuvent me rebuter : la prétention à tout saisir et à tout accepter me paraît assez utopique et contraire à la volonté de chacun de choisir ce qu’il préfère, ce qui n’est pas un crime. Néanmoins, le processus actuel de mondialisation continue me questionne : déjà, à l‘intérieur d’un aussi petit territoire que la France, l’uniformisation des modes de vie qui se traduit entre autres, par les mêmes chaînes de magasins étendues à longueur de zones d’activité similaires, les mêmes aménagements urbains rectilignes, le même étouffement des particularismes régionaux devenus le symbole de la ringardise, est une source d’ennui pour le promeneur, solitaire ou non.
Que serait alors un monde où tout ressemblerait à ça ?
Sans doute une morne plaine où il ne serait plus guère question d‘aller à la rencontre de l’autre, devenu si semblable, à défaut de rester effrayant. Nous sommes loin de ce constat, évidemment, et d’autres préoccupations beaucoup plus urgentes liées à la survie et à la pacification de peuples menacés prévalent, mais comment pensons-nous, ensemble, le devenir du monde, comment pensons-nous un monde mélangé et bien plus juste sans que chaque élément particulier, chaque identité ne soit noyé dans un tout devenu un brouet, reste un beau défi insuffisamment abordé, il me semble.