Le beurre étalé sur une mince tranche de pain. Et puis, subtilisés dans la boite en fer, les morceaux de sucre. Bien cachés, granités, dans le creux de ma poche. Un, deux, trois, quatre parfois. Tellement plus blancs que ma conscience. Affolée de sucre comme une abeille butineuse, j’attendais que les dos soient tournés. Posais les morceaux bien alignés dans le beurre onctueux. Sucre contre gras, rien ne fait peur aux enfants. Il fallait un coin d’ombre, un carré de silence pour y asseoir mes fesses dodues. La tartine portée comme le saint Graal dans ma menotte un peu moite. Et puis la délivrance : dents plantées dans le premier carré, quelle sensation ! Le sucre ne se croque pas, il se délite, griffe délicieusement les papilles de la langue et se disperse sans hâte. Ensuite, la mollesse du beurre doux, à peine parfumé de noisette, cédait agréablement sous mes molaires puis le pain blanc que j’aurais voulu épais, croûteux, croquant, mais que je mâchais avec application.
Ce que j’ai toujours aimé dans le plaisir, ce sont l’attente et la fugacité : que serait un gourmand rassasié si ce n’est un amoureux sans rêves ? En grandissant, j’ai compris que la surabondance nuisait pour moi à la qualité du ressenti. Ce pourquoi mes songes délirants de fontaines de sucre déversant leur neigeuse candeur dans ma gorge d’olifant ont cédé le pas peu à peu. Ce pourquoi je ne sature jamais mes sens et refuse de regarder 100 photos à la suite, de voir tous les tableaux d’un musée en une seule fois, etc. Rien ne sert de courir, il faut aimer à point…