Parfois, je comprends ceux qui ne lisent qu’un livre, un seul dans toute leur vie. Plutôt que d’amonceler, de parcourir, de dévorer, ceux-là goûtent, reprennent au début, recommencent leur lecture ou plutôt n’en finissent pas. Parfois, fouillant dans ma mémoire d’ancienne lectrice compulsive, je m’aperçois avec effroi que bien des titres se sont enlisés, que je ne saurais en citer nulle phrase ou seulement quelques bribes, qu’en fait, je n’ai pas lu, mais bâfré comme un goulu incapable de distinguer dans sa bouchée la saveur de l’anis ou le piquant du poivre…
Néanmoins, je me remémore le plaisir des piles entassées, l’impression de plénitude sécurisante des livres étagés autour de soi, ce ventre chaud de reliures et de pages, le parfum de vieilles pommes, de moisissure légère, de feuillage automnal. Un toit contre l’ennui ; un barrage contre l’écœurement et les violences. Ma maison.
Mais j’imagine aussi que ce lecteur concentré et pointilleux, l’index soulignant pour la dix-millième fois un passage tant aimé, aura peut-être trouvé l’œuvre ultime, son alter ego théorique tellement plus crédible qu’un être de chair. Que lui dira ce livre qui me resterait à moi éternellement mystérieux ? Que lui taira-t-il qui me serait audible ?
Lisant moins, je n’ai peut-être jamais autant aimé lire : c’est un rituel devenu d’une intimité féroce que je ne brûle pas de partager, sachant tellement bien que cette sorte d’amour est aussi irrationnelle que les autres. Peut-être même est-ce cette liberté de ne pas souscrire au fameux « il faut avoir lu ! », ni de céder à d’autres sirènes tentatrices que ma propre gourmandise ou mes éblouissements inattendus devant telle phrase, tel auteur en dépit des modes et des injonctions, qui me fait rester dans ce monde que tant de courtisans gourmés devraient me faire fuir ?
Je n’en sais rien et c’est tant mieux. Le hasard de la rencontre, là encore, fait des merveilles et aujourd’hui, je ne suis pas pressée …
A ce : »il faut avoir lu… » je répondrais par une citation de Oscar Wilde : « Il est absurde de se donner des règles absolues sur ce qu’il faut lire et ce qu’il ne faut pas lire. Plus de la moitié de la culture moderne repose sur ce qu’il ne faut pas lire. » 😉
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Jolie citation, merci Myo ! Chacun est libre d’en juger mais je préfère garder une grande place aux rencontres imprévues et aux émerveillements 🙂
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Les rencontres imprévues, ça c’est le plus grand plaisir!
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Oui, on y trouve des choses fabuleuses ! Merci Barbara.
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