Je suis abonnée au cœur du monde qui bat. Cela m’a pris un tas d’années posées pêle–mêle dans un panier. Mais c’est un abonnement qui ne coûte presque rien puisque son paiement est aléatoire et se règle en nombre de battements, en fragments d’émotions, en soupçons de colère, en sursauts. En cris.
Souvent il me déçoit, dans le cadre restreint de mon regard, dans le canal étroit de mes oreilles et surtout, en passant par le filtre maladroit de mon cerveau, c’est son illisibilité qui s’impose. Mais cela ne fait rien : a-t-on besoin de comprendre l’abstraction d’un tableau pour qu’il s’empare de vous, de vos sens et même de votre déception ? Parfois il m’éblouit.
Alors je m’assois souvent, sur un trottoir, n’importe où. J’ai mon carnet dans ma poche, un crayon, un vieux stylo. J’écris, je ne relis rien, c’est comme ça. La relecture, c’est pour les autres dont je prends soin. Pour moi, je ne sais pas. Cela vient comme ça, au rythme de ce qui s’écoule devant moi. Dans la rue, si on oublie les bruits évidents, c’est une autre musique qui s’installe. Un premier passant au rythme lent, bam, bam, bam, bam puis une femme à talons, tic a tic, tic tic, tic a tic, tic tic. Et d’autres encore et c’est tout un orchestre qui se met à croiser ses rythmiques.
Et puis existent les couleurs, la plus grande invention de la vie selon moi. Ah les couleurs ! Combinant à l’infini leurs combinaisons froufroutantes, transformant un visage, une chevelure, une fenêtre en peintures pointillistes que le moindre reflet transforme. Je pourrais passer toute une vie à regarder ces reflets et à m’en nourrir.
Parfois me viennent des désirs de forêt ombreuse, de clairière muette mais en fait elles sont là, tendant leurs branches invisibles, soulevant le pavé de la rue, un frisson du sol et tout disparaîtrait comme un jeu de construction éparpillé par un gosse. C’est peut-être cette fragilité que la pierre tait si mal, que j’aime dans la ville. Et puis, si la nature me manque, souvent, jamais je ne m’illusionne : ce qui est sauvage n’est pas doux, pourquoi voulons-nous l’oublier ? C’est juste sa nudité qui me manque, ce que nos mains n’ont pas pu habiller.
Parfois, j’aimerais me désabonner. Une sorte de vertige métaphysique me prend devant cette architecture complexe et décousue, la ville ici ou ailleurs, c’est le Frankenstein de toujours qui émeut et terrorise.
Mais le monde ne vous lâche pas comme ça, il tient à ses lecteurs. Et je tiens à lui comme à un enfant qui se comporte mal mais qu’on ne peut pas oublier. Ca aussi, c’est comme ça …