Dans la lune

pomponJ’ai grimpé jusqu’à la lune, pas plus tard qu’à minuit moins deux.

C’est très facile, il suffit de modeler avec ses doigts deux ou trois nuages dodus,  ceux qui justement passent devant le disque pâle, mollement poussés par le vent, et de façonner des barreaux pas trop gros. Prendre ensuite son courage à deux mains, escalader le balcon sans regarder en bas, poser le premier pas sur le premier barreau qui tient dans la main du vent.  Avec un peu de chance et de concentration, vous arriverez à imaginer que les barreaux suivants se dupliquent tout seuls parce qu’évidement, s’il fallait tous les construire, ce serait absurdement fatigant et cela n’aurait jamais de fin. En se forçant un peu, cela fonctionne bien

Certains vous diront que la lune est bien trop loin et puis qu’il fait froid ; ceux-là, vous pouvez les rayer de votre liste d’amis ou de contacts et les ranger dans la boite à l’extrême droite de votre étagère, là où vous mettez ce qui ne vous sert pas.  Les tristes sires résistent bien à l’enfermement, leur résistance à l’épreuve du temps étant un fait remarquable.

D’ailleurs, le temps lui-même ne ressemble à rien de ce que vous avez lu ou entendu. Il est comme vous avez envie qu’il soit au moment où vous le désirez. C’est quand on le laisse échapper à notre attention que le temps devient indocile et vous joue des tours par dépit : en réalité, il manque singulièrement d’amour, le temps et ne s’accommode guère des qualités qu’on lui trouve. Lorsqu’on le regarde différemment, il rampe à votre main et sert vos caprices, mais évidemment, cela ne dure pas, sinon vous resteriez figé sur le même barreau éternellement et alors votre ombre serait projetée sur le disque  lunaire,  et bientôt, cela ne dérangerait plus personne.

Sur la lune, il ne fait pas froid et on ne vole pas du tout parce qu’en réalité, il y a déjà tellement de monde là-haut, venu d’un peu partout, que chacun a trouvé le moyen de s’attacher à un autre et que de chaînon en chaînon, cela forme des guirlandes colorées et mouvantes. Certains se servent pour cela de leurs longs tentacules ou de bras ventouses, j’en ai même vu un qui avait juste planté sa dent unique sur une crête et tournait autour en clignotant joyeusement.  Moi, je préfère nouer mes cheveux à une des fleurs qui pousse là-bas et cela va très bien. Une fois installé, chacun parle pour lui tout seul, chante, vrombit, ou se tait, comme il veut. Comme le son ne porte pas, mais que chacun gesticule,  cela crée un ballet silencieux sidérant et incessant, indescriptible, mais très réconfortant. De là-haut, la terre ressemble à une balle de caoutchouc multicolore et le grand jeu, c’est d’essayer de l’attraper et de la faire rebondir  contre les autres étoiles, mais je n’y suis pas arrivée.

Quand j’en ai eu assez, j’ai dénoué mes cheveux et j’ai emprunté un escalier descendant qui n’avait pas fini de s’évaporer. Avec le trafic qui sévit là-haut, il n’est jamais besoin d’attendre et c’est vraiment très bien. Quand on descend de la lune, les chats qui veillent sur les toits vous regardent bien tranquillement car ils ont l’habitude de voir des choses bien plus surprenantes et qu’il en faut beaucoup plus pour les sidérer.  Avant de franchir mon rebord de fenêtre, j’ai soufflé sur le bout de nuage qui restait et je suis restée à regarder la nuit, bien tranquillement, l’esprit tellement vide que le vent soufflait à travers. Vous n’allez sans doute pas me croire, mais vous devriez pourtant réfléchir un petit peu : après tout, ce qu’on nous dit et nous montre à longueur de… temps est bien aussi absurde, n’est-ce pas ?

En tout cas, à minuit trente trois, je dormais paisiblement. Et je rêvais qu’il faisait nuit ; comme quoi, les rêves ne mentent pas toujours …

 

 

 

A propos Phédrienne

Je suis ce que j'écris, ce que je vis, et réciproquement, cela suffit sans doute à me connaître un peu :)
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4 commentaires pour Dans la lune

  1. Francis dit :

    Bon, d’accord…

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  2. Antonio dit :

    En s’agrippant aux barreaux de votre texte, on n’y monte encore plus vite… et on redescend avec des étoiles plein les yeux. J’adore ! 🙂
    La nuit prochaine, on nous donne une heure de plus. Je crois que je vais en profiter pour aller y faire un tour, avec mes garde-corps. On n’est jamais assez prudent. S’ils vous empêchent de chuter de vos fenêtres, ils sont très doués pour vous aider à monter jusqu’à la lune. Ils sont montés comme des échelles… Il suffit de les retourner. Et avec deux hirondelles pour vous les tenir, l’un après l’autre, vous grimpez très facilement. Bien sûr, il vous faut connaître des hirondelles 😉

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