Il s’appelait Ariel. C’était au firmament des lycéens convenus, dont j’étais, cette sorte de trublion magique qu’on ne rencontre qu’une fois dans sa vie. La première fois que je le vis, il portait un costume en velours côtelé de dandy, un gilet croisé, une pochette et dans cet éclectisme baudelairien, il ramenait nos cheveux hirsutes à de vulgaires balayettes. Mais c’était son verbe surtout qui jetait des étincelles dans ce triste ciel noiséen où je me morfondais, comme lui. Je n’ai jamais su d’où lui venaient ses connaissances, pour moi vertigineuses : il peignait, c’était un fou d’Artaud et de Dali, de Barbey d’Aurevilly, un connaisseur de Satie, dont les fines mélodies n’avaient jamais pénétré les profondeurs de mon logis. La fantasque et maigrelette adolescente que j’étais s’essayait à zigzaguer dans son sillage sans tout comprendre, mais la certitude qui m’habitait était que lui avait raison contre toutes les obscurités.
Lorsqu’on est aussi peu sûr de soi que je l’étais, ce peu d’entendement éteint suffisamment votre jugement pour que d’infimes barrières se dressent à toute heure entre le génie et votre banalité : j’avais du mal à accepter, du mal à saisir, la lumière vous ramène à votre propre nuit et il faut savoir s’en dégager, j’ai mis du temps. Trop.
Je l’ai suivi néanmoins, avec mes rébellions, mes propres toquades, j’étais une sauvage, je l’ai déjà écrit. Il ressuscita pour ses amis la grande tradition des blagues « Hénaurmes », nous avons même un jour envahi le balcon de la mairie, déguisés, et harangué la foule avant d’être expulsés, ou troublé quelques cours. Il créa même un jour de toutes pièces un pays et monta une fausse exposition avec photos, faux produits du terroir, artisanat et cela marcha, les gens vinrent en nombre la visiter. Il osait tout et m’aimait bien, moi qui étais si vénielle et embarrassée. Il est parti très tôt, les gens comme lui ne durent pas, leur résistance s’émousse à la banalité ordinaire, c’est un fait. Il est parti l’année même où j’ai rompu avec ma vie.
Souvent, je repense à lui, et chaque fois, notamment, que je lis ces appels à pétitions, aux restrictions de la parole, à la censure, l’humour banni, le retour à la morale pontifiante. Chaque fois que je lis cette agressivité sans sourire qui a pris la place du dialogue. Comme il s’ennuierait, aujourd’hui, mon ami !