Nous avons du mal à grandir. En nous l’enfant rageur, muselé, incompris, ou encouragé au contraire dans ses emportements, refuse souvent de grandir. Chacun célèbre à qui mieux mieux cette omniprésence en nous d’une enfance idéalisée, ce temps de l’apprentissage, pas toujours aisé, devenant dans nos têtes crédules et benoîtes le temps de l’innocence. Je n’ai jamais partagé cette vision, parce que ce que j’aime chez les enfants que je croise est justement qu’ils sont encore dans un monde qui leur appartient, un microcosme d’où nos obsessions d’adultes sont absentes. Et que, quoi que l’on puisse tenter de traduire de leurs petits mots, de leurs gestes, un peu à la façon dont nous imaginons être des idoles pour nos chiens et nos chats, personne d’autre qu’eux ne sait ce qui se passe dans leur tête. Je leur envie quand même un peu cette capacité d’abandon dans le sommeil qui leur donne une grâce tranquille, mais c’est tout. Je ne les crois pas innocents mais neufs, et cela m’est bien égal, après tout.
Je n’ai donc pas senti comme une punition le fait de grandir, bien au contraire. Apprendre, découvrir, accéder à la parole de façon autonome, choisir mes gestes. Avoir le droit d’affirmer une différence rendue si impossible lorsqu’on est petit. Elargir son champ de vision, pousser les murs de sa pensée, s’abstraire des pressions, s’abstraire si besoin est, d’un milieu qui ne vous est pas toujours favorable et qui ne devrait pas être punaisé à jamais sur vos épaules. La vie, aventure improbable, décevante parfois, mystérieuse toujours, jamais linéaire, pourquoi ne pas l’entrevoir comme une fiction à écrire ?
En ce moment, je m’amuse en regardant défiler sur ma page de réseau des torrents de choses absurdes, l’humour de cour de récré, justement, ou bien encore ces tentatives de combattre nos peurs derrière des rodomontades infantiles, comme lorsqu’on est petit, justement, et qu’on veut se persuader que si on traverse la cour en moins de 20 secondes, rien ne pourra vous arriver. Je lis « les gros mots » comme on disait lorsque j’étais moi-même petite, et qui échappent tellement souvent aux « grands » que cela me faisait bien rire. Et parfois je me demande si les enfants des réseauteurs lisent tout cela et s’ils voient eux aussi, comme moi, à quel point nous avons tous du mal à grandir …