Je n’ai pas eu envie de rire aujourd’hui. Je suis restée dans un silence gravé de pluie. Je connais chaque rainure, chaque grain du parquet abîmé que mes pieds ont fait chanter. Ou  alors, lovée sur mon canapé à écouter le grand calme de mon corps enfermé dans une claustration sourde, j’ai étudié le tableau que j’ai accroché en face de moi. On y voit le buste d’un homme au pantalon déchiré  et dont les mains couvrent douloureusement le visage. La tension de ses paumes est telle qu’on entend leur cri. De quoi, de qui se cachaient-elles dans l’esprit de celui qui a dessiné cette silhouette piochée sur un mur lyonnais au hasard d’une promenade et que j’ai incorporée dans une composition ? Bien des choses ont traversé mon esprit mais je les ai laissé voler comme elles le désiraient dans la pièce puis se dissoudre. J’ai pensé quand même qu’après tout  ce silence était utile au milieu de tout ce qui jaillit, énorme fracas de déflagrations verbales brûlées de ressentiment.  Roulis de paroles toutes faites versant dans le grand fossé où la colère glougloute. M’est revenue du fond de mon enfance cette impuissance à l’accepter, à me saisir de cette violence pour la faire mienne, m’en vêtir à mon tour. Enfant, j’avais alors l’impression qu’une tourbe menaçait d’envahir l’abri précaire où je tentais d’être moi. Aujourd’hui, j’ai enfin le droit du refus et je l’assume. J’ai préféré à tout la texture de ma peau quand j’ai enfin pu la toucher …