Si peu de nature

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La nature est restée si lointaine, je ne l’ai connue que fragmentée. Délimitée dans les carrés potagers de mon père, claquemurée dans des pots vernissés. Hirsute, parfois, à la manière des groseilliers et des framboisiers qui refusent la ligne et épousent le désordre en poussant où cela leur chante. Il ne fallait pourtant pas partir très loin pour rencontrer la forêt, quelque champ oublié de la furie bétonneuse,  mais alors on ne pouvait s’y enfouir jusqu’à oublier les sons, les odeurs citadines,  s’imbiber de la lumière clairsemée, rasante, descendant des cimes pour vous nimber comme une statue. Je l’ai inventée, attirant à moi lors de mes promenades, la moindre branche pour l’élonger sans fin, la fleurir de grappes, de baies extravagantes, de feuilles larges et épaisses comme des bateaux. Je marchais, l’esprit ailleurs et cela me suivait, vignes vierges serpentant sur de hauts murs, glycines parfumées,  pissenlits dodus dégorgeant leur soleil à ras de bitume, pensées fragiles entêtant le goudron. Multipliant comme dans un rêve leurs excroissances, leurs bulbes et tubulures et drapant les façades de prairies. Lorsque je l’ai connue  un peu mieux, comme une invitée de passage qui reste à l’orée de tout et ne comprend des paysages que le grain du sable, la terre meuble, le baiser humide de l’herbe, quelques senteurs, je n’ai su que glisser mon dos contre le tronc solide d’un arbre et demeurer là,  comme en étreinte, comme en fusion. Cela m’est resté. C’est d’abord ma main caressant une feuille, lissant le duvet d’un bourgeon, frottant les creux et les reliefs d’un sillon, qui prend acte, la main qui se substitue à mes yeux et leur communique sa vérité soudaine avant que tout ne s’éveille à moi. Alors, une fois rentrée dans mon nid d’oiseau de passage, je prolonge cette sensation un peu, jetant loin chaussures et bas pour que la plante de mes pieds retrouve le bois civilisé, ciré de lustres autant que d’encaustique, quand je n’y reste pas couchée…

A propos Phédrienne

Je suis ce que j'écris, ce que je vis, et réciproquement, cela suffit sans doute à me connaître un peu :)
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