Plus on écrit court et plus je lis long. C’est un constat qui m’amuse. Au pied de mon lit, Proust, Musil, et maintenant Joyce, prennent le pas sur toute autre lecture. Je ne l’ai pas vraiment choisi, ce sont les livres qui viennent à vous à un moment donné, quand c’est le temps, je l’ai souvent remarqué. Là, ils déposent devant moi leur précieuse cargaison de mots volumineux et rares, leur verbe pléthorique, signifiant, et loin de m’y noyer, je glane, je cherche, je m’étends sur cette prairie grasse et fertile.
Le quotidien vous claquemure dans un espace si étroit, enrobé de mots itératifs que l’on s’y appauvrit sans cesse, surtout à cause de la contagiosité du verbe, si redoutable dans ses plus mauvaises expressions ; parfois, il faudrait être sourd, en effet, à ces répétitions. Alors ces lourds matelas et leur laine féconde ne m’encombrent pas, ils m’étirent dans tous les sens de ce mot.
J’aime qu’ils ne définissent rien, ne circonscrivent aucune notion morale, civilisatrice, artistique dans leurs enceintes, qu’ils échappent à la plainte, proposent un substrat de réel jamais définitif, signent la singularité de leurs auteurs. Contre l’ennui collectif, l’obsession de raconter un vrai inexistant, l’audace de leur écriture solitaire me sied et m’entraîne. Je me demande combien d’éditeurs, aujourd’hui, auraient le temps et l’appétence pour les lire, j’imagine combien ces auteurs seraient plus encore, décalés, hors contexte, déphasés de leur temps. Mais c’est ce déphasage même qui me fascine, cet hors temps, hors marché, inéluctablement démodé qui me parle.
Dans un paysage urbain, parfois, une demeure excentrique échappe à toute classification ; désordonnée, incongrue, débarrassée des contraintes et des obsessions d’une époque, elle échafaude ses murs, ses tours, ses arêtes et n’en finit jamais d’étonner. Ces œuvres agissent sur moi de la même exacte manière. Elles ne s’érigent pas en modèles, sont indociles à la vénération, échappent aux exégèses. Elles vont leur chemin de pages et j’aime à y perdre mes pas.
Rien n‘empêche cependant le silence, la grande pureté du vide et du court. Mais parfois, elle n’est qu’un rien, tout comme la profusion.
Parfois, ces volumes répondent à mon propre désir de plein.
une analyse comme je les aime.
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Merci, je vais me sentir moins seule !
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