« Ce monde n’existe plus », m’a soufflé à l’oreille un homme à la peau dorée. Son œil rougeoyant souriait, planté dans ma prunelle noire. « Ce monde ondoyant par votre bouche, de doucereuses invites, de lentes politesses, n’est plus. Regardez-les ! »
Et de sa main large aux phalanges puissantes, il désignait les humains pressés, la jeune femme noire au ventre surtendu que j’avais tenté de faire passer devant nous, le type au visage de flibuste qui fendait l’air de son sac et posait d’autorité ses affaires avant tout le monde.
Derrière nous, le brouhaha de voix laissait monter dans la touffeur des « chaud patate, j’te l’dis, Yallah, c’est trop cher, tu m‘saoules, j’ai pas le temps, sérieux ? », puis la caissière au long visage coulant d’ennui m’a demandé de vider mon sac, mais j’ai tout gardé en moi.
Ce monde n’existe plus, peut-être bien. je ne suis pas certaine qu’ait jamais existé la sphère où je vis, délicat flocage sans importance où l’absurde a plus de poids que tout le reste.
J’aurais aimé demandé à l’homme à la peau dorée si son monde existait bien et s’il pouvait me le décrire, mais il avait déjà l’air un peu inquiet. Alors je lui ai souri, souhaitant dans mon for intérieur que sa tranche de réalité soit assez poreuse pour qu’y émane la chair de ce sourire, qu’existe au moins cet esperanto. Son œil rougeoyant s’est nimbé de malice, la jeune femme noire s’est accoudée sur son charriot, le flibustier est sorti à grands pas et j’ai écouté le son des miens, à peine audible sur le sol du 14 juin 2017, heure terrestre.