Avant, ce que l’on pensait de façon fugitive ne laissait guère de traces et l’esprit sans s’en encombrer davantage trouvait à ouvrir d’autres chemins. Depuis que chacun tente de fixer sa pensée immédiate et se sent le besoin de la partager (moi y compris), ces idées volatiles pèsent de tout leur poids de fausse certitude et essaiment dans les têtes en y faisant autant de dégâts qu’une intense campagne de nocive propagande. Quoi que l’on dise, la force de la bêtise, une fois écrite, reste frappante. Si elle est formulée avec art, ou ce semblant de forme qui passe pour du style, elle devient virale selon le nouveau lexique du net et je crois que la formule est assez bien choisie.
Ainsi, le moindre poncif sur la déréliction, la mauvaiseté de l’homme, l’amour, le sublime, la mort, se promène et revient en boucle jusqu’à provoquer cette fameuse nausée de l’âme que chacun connaît. Ainsi, ce qui n’est à la base qu’une pensée formulée sans autre conviction et pertinence que celles de son auteur prend la solennité d’un aphorisme que l’on médite avec componction. En dehors du côté amusant, je trouve pour ma part cela assez toxique, car, asphyxié, intoxiqué jusqu’à l’overdose, le cerveau y perd son peu de sens critique, et l’originalité de la pensée s’émousse comme un vieux couteau sur le tranchant d’une pierre.
Remède évident à cela, l’éviction, le recul et la tangente que j’ai prise avec empressement ces derniers temps. Et revenir à des fondamentaux (pour moi) : lire plutôt que de disserter sans fin sur l’art d’écrire, écrire et garder pour soi, le temps de la distance et de la critique. Marcher et penser sans l’urgence de faire du bruit. Se faire petit et se faire oublier. Vivre, quoi…
Il est vrai qu’aujourd’hui, l’art du « laisser passer », du « laisser fuir » a pratiquement disparu. Cela me paraît lié, entre autres, à la disparition de l’art de la conversation, où piques, saillies, remarques, avis, etc. étaient rendus légers par leur oralité : ce que l’on disait entrait dans une oreille et pouvait ressortir par l’autre en y laissant trace ou pas. Beaucoup de gens, aujourd’hui, n’ont plus de ruisseaux dans la tête, ils leur font barrage pour se croire propriétaires d’étangs, voire de lacs qui ne sont souvent que des mares. En tout cas, l’esprit de l’époque s’alourdit comme l’intestin d’un constipé de toutes ces rétentions. Une mise au régime s’impose. Il paraît que la poudre d’escampette est efficace…
Jean-François
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Bonjour Jean-François
Votre remarque me semble très judicieuse. J’y ajouterai l’effet miroir qu’engendre le net. Sur les réseaux, avoir des « suiveurs » (l’expression est horrible : ) ) confère aux personnes une absurde aura d’importance et leur égo ne s’en porte pas bien. Cela favorise en sus des comportements « adulescents » surprenants : on vous boude si vous n’aimez pas, les superlatifs surabondent, on s’essaie à y forger les goûts de l’autre au pied de biche, etc. Certes, cela autorise aussi de jolies rencontres, fort heureusement, nous en sommes la preuve. Mais il est vraiment nécessaire de faire des « cures » d’abstention et de resserrer son attention sur ce qui demeure essentiel : rester soi et garder un petit sourire sur tout cela.
Amitiés.
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Chère Phédrienne,
C’est volontairement que dans mon commentaire je n’ai pas parlé du net, des réseaux sociaux. Ils étaient en filigrane dans mon « entre autres ». Mais je sais bien quel rôle ils jouent dans ce que vous dénoncez. Sous leur apparence de conversation, ils en sont le contraire, puisque au lieu de parler on écrit, pire on grave ce que l’on dit, ce qui conduit à une quasi sacralisation du propos que l’on a tenu. Donc, contrairement à la conversation le propos tenu se fige plutôt qu’il ne passe. Mais je ne m’étends pas sur ce sujet, vous le cernez fort bien vous-même. Alors, dans ce deuxième commentaire, je ne fais que passer et vous témoigner mon amitié.
Jean-François
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Cher Jean-François,
J’y suis très sensible et vous en remercie;
mes amitiés également.
Colette
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