Dans le silence de l’aéroport, le grand silence qui attend le vent, qui espère les ailes zébrant le ciel de leur éclair blanc, le soleil n’entre jamais. La lumière qui surveille les passagers guettant, immobiles, de grands affichages clignotants, et les coureurs du week-end, mains crispées sur la poignée de leur valise, ne réchauffe pas les cœurs qui battent à l’unisson des hauts parleurs :
« Le vol U23207 à destination d’ailleurs est retardé pour cause d’avarie. »
« Monsieur Globettrotteur est attendu en zone d’embarquement numéro B3, je répète, Monsieur Globettrotteur est attendu en zone d’embarquement numéro B3. »
Une fois la porte franchie, il sera trop tard pour réajuster votre peau piétonne clouée par la loi universelle de la gravitation. Un sort attachera à vos épaules des ailes qu’aucun zénith ne fera fondre. Dépouillé de vos valises, sacs, besaces, réticules, sacs à dos, pochettes, sacoches, cartables, étuis, hotte, manteau, veste, imperméable, gilet, réduit à votre dimension la plus légère, vous oublierez l’épaisseur de vos os, la grossièreté de vos attaches. Une fois oubliés la ceinture qui vous ligote, l’exigüité des sièges, la promiscuité, le brouhaha, la main de votre voisin crispée sur votre accoudoir, vous saisiront la poussée des moteurs, l’empennage de l’oiseau, le roulis sur la piste, les secousses qui collent un frisson de plus à vos vertèbres, et puis l’envol, quelques secondes, le temps que votre estomac retrouve sa place, que votre cœur réintègre votre cage thoracique. Et vous serez oiseau, chacun dans son espace, oie, aigle, colibri, papillon éphémère.
Au pied de la passerelle, cependant, de nouveau votre vie d’avant vous saisira par le col. Alors, le temps reprendra sa marche et le soleil rassuré de vous savoir de nouveau terrestres et minuscules, sourira de toute sa gloire.