Il n‘y a qu’ici que je peux dire la détresse, profonde, récidivante, tueuse, qui est mienne. Elle n’étouffe pas ma joie d’être, si différente que je sois en réalité de mes concitoyens, parce que petite, j’ai été contaminée jusqu’à la moelle de l’os par mes lectures. Comprenez-moi : née dans un monde opaque et surtout fermé, l’ouverture de la page d’un livre m’a été planche de salut, voiles du bateau, promesse de l’aube et certitude d’un ailleurs mythifié. Non désirée, j’ai eu faim d’amour, cette soif inextinguible que cette vie n’apaisera jamais. Ô combien médiocres et peu aimants, surtout, m’ont alors toujours paru ceux qui m‘ont approchée et que mon désir éperdu et contradictoire de complétude et de liberté ont épouvanté. L’homme n’aime pas la femme libre, encore moins si elle est intelligente ; c’est ce que tous ceux que j’ai approchés, m’ont démontré. Depuis plusieurs mois que j’y pense, je ne me remets pas de cette comparaison qui joue contre lui, l’homme de chair et sa parole vaine, son costume fabriqué de toutes pièces pour la société et qui comporte si peu de vrai tissu. J’ai banni pour cela de mon vocabulaire ce « je t’aime » qui arracherait ma langue, alors que j’en suis pétrie de cette absence et de ce besoin, quoi que je veuille m’en passer.
Je suis donc libre, désormais, de cette affabulation et orpheline de mes espoirs, pourtant, le lien d’humanité viscéral qui me lie aux autres n’est pas détruit. Il dit seulement que mon besoin de vrai (que ma raison me dit avec justesse ne pas exister, et pourtant !) est tellement plus important que mon besoin de durée. Cela me mangera toute crue, je le sais. Mais c’est beau d’être dévoré de ce besoin, plus que de se mentir, non ?
Est-ce dérangeant ? Ce qui serait dérangeant serait de se mentir ou de souffrir de la situation ou bien encore de se rendre compte que ce qui est vraiment en cause, ce ne sont pas les autres mais plutôt nous (j’imagine que cela peut arriver). Mais sinon ?
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Mais justement, la souffrance a été suraiguë et je me suis menti à moi -même en refusant d’accepter certains aspects du réel que pourtant j’étais bien capable de discerner. Il a donc fallu faire un long travail de « nettoyage » pour garder vivant ce que la littérature a construit (la possibilité d’un monde autre que le quotidien), et la capacité à voisiner avec le réel ( mais pas trop 🙂 ). Ce n’est donc pas la faute aux autres, mais on peut ne pas avoir envie de trop les approcher… tout en resepctant ce qu’ils sont ou vous semblent être.
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