Une longue tradition nous fâche avec le rire qui déplaît aussi bien aux hommes de foi qu’aux penseurs. Quant aux poètes, n’en parlons pas. Seule la douleur les inspirerait et le long fil de leur plaintes, déroulé depuis les Grecs, n’en finit pas de laisser dans son sillage mille allégories funestes.
« J’en ai marre de votre vide » m’a ainsi écrit l’un d’eux, et je n’en ai pas été fâchée. Jeune amoureux des figures allégoriques inspirées de son terroir, tout parsemé de roche et de minéral, la légèreté profuse de certains de mes écrits ne peut que lui être délétère.
Et puis, il a peut-être raison, je me sens en effet vide de désespoir, de tendance létale, d’idéalisation amoureuse lyrique, c’est vrai, et de tant d’autres choses encore.
Mais sans doute ignore-t-il que cette forme de vide-là est un long chemin. Le rire qui nous est propre et auquel j’accorde, moi, de nobles fonctions, parce qu’il permet notamment à l’esprit de s’élever au-dessus de ses angoisses et d’aller de l’avant, reste suspect de sottise. On rit comme une oie, rarement comme un cerveau et pourtant… existe-il tant d‘animaux qui rient ?
Quant à la stupidité qui serait mienne, évidemment je l’accorde. Amateur d’esprit et d’intellectualisme, j’achoppe plus souvent qu’à mon tour sur des capacités restreintes, bien que j’y travaille. C’est d‘ailleurs, je l’avoue, une grande source de contrariété : je ne suis pas assez intelligente à mon goût, c’est comme ça. Mais de cette frustration, j’ai aussi appris à rire, de ce rire distancié qui autorise à sortir du lamento.
Ecrire avec chair, matière et si on le veut, du rire, est donc pour moi un tout qui n‘est pas antinomique avec la pensée et les sentiments les plus profonds. Il s’agit plutôt d’utiliser ce que l’on est sans sacrifier à des impératifs de mode ni à des injonctions stylistiques. Mon rire déplaira donc bien encore mais je ne m’en plains pas. L’écriture provoque, titille, interroge nos refus. Ceux des autres me renvoient à mes propres arrêts, parfois, c’est leur rire qui m’est insaisissable, puisqu’il est un langage à lui tout seul, pas plus évident que d’autres. Ni plus, ni moins vrai.