Ce matin, le réveil ne sonne pas, mon horloge interne a appuyé sur le bouton, clic, et me voilà les yeux ouverts. Il est 7 h, et ce matin d’automne 1953 est doux et pluvieux. Ah non, nous sommes en 1940 d’après ce que je lis ou peut-être 1816, c’est un peu flou et je finis par me regarder dans la glace pour être sûre que j’existe dans une faille temporelle, quelle qu’elle soit. A priori, la silhouette que je vois appartient bien à un temps quoique l’absence de vêtements ne présuppose pas d’un siècle. Zut alors ! Dehors, les arbres perdent leurs cheveux, le toit solide de l’ancienne usine abrite ses rayons bien éclairés où quelques travailleurs se déplacent lentement. Je regarde en bas où aucune troupe napoléonienne ne circule, aucun tacot ne fume, aucun vitrier ou ferblantier ne tire une charrette. Près du banc, un homme tourne et cherche à pisser contre un arbre sans se faire remarquer. Peine perdue je suis là mais je tourne la tête pour ne pas gâcher mon plaisir à être debout, vivante, pieds froids et ventre chaud, sans plus de repères chronologiques. Si ça se trouve, je me tiens dans la tête d’un dormeur qui n’a pas trouvé meilleure inspiration. Si je fais trop de bruit, peut-être son réveil me sera-t-il fatal ? Si ça se trouve, je ferais mieux de penser davantage à ce « maintenant » où aucun tiraillement ne s’opère, nul frisson, nulle petite douleur, l’instantanéité du présent. Si ça se trouve, dans une minute, je me mettrais à penser à ce que j’ai envie de faire et d’être. Ce futur immédiat et simple que je peux seule habiller en même temps que moi.
Si ça se trouve, je suis en 2018 de l’ère vulgaire. On ne sait pas…
(Vive le présent !)