Ma perplexité est grande aujourd’hui. J’assiste sur les réseaux sociaux à de la production poétique systématisée, j’entends par là l’écriture d’un poème (ou supposé tel) quotidien, livré comme le journal du matin et qui doit être produit. Parfois même, l’un ou l’autre s’excuse de ne pas l’avoir fait comme si un contrat implicite l’y obligeait. L a récurrence quasi absolue des thèmes (le silence, le désespoir, la chair, la mélancolie) et des expressions me questionne aussi ainsi que l’usage de plus en plus systématisé de listes d’infinitifs ou de mots décousus, sans assonance particulière et dont l’intention est brouillée. Parfois même, le tout prête à rire dans l’outrance des figures mais nul ridicule ne freine l’enthousiasme, ce qui après tout n’est pas grave dès lors que l’auteur ne prétend pas détenir le graal poétique.
Plus que tout, les distorsions, dont je ne suis pas sûre qu’elles soient volontaires, de la syntaxe et de la grammaire me dérangent, sans compter la conjugaison malmenée à longueur de vers. On peut y voir une ferveur tatillonne pour une orthodoxie et m’opposer la licence poétique, évidemment. Mais je n’ai jamais pensé que la poésie consistait à étaler des lignes d’images pour faire un effet. Je ne pense pas non plus qu’elle doive échapper à l’exigence, surtout lorsque sans rire, tel ou tel déclare poster la cinquième version d’un texte. Bien sûr, on pourra me reprocher mes propres litanies, et l’ennui de mes textes longs, mes propres erreurs ou que sais-je ? Mais tout cela me tombe des yeux. Heureusement, une génération plus jeune et culottée écrit des textes mi-poèmes mi-prose, souvent proches du rythme du slam ou du rap et dont les thèmes sont autrement plus contemporains et cognés à la vie sans artifices. Et je suis ravie qu’ils aient compris que l’humour en poésie a toute sa place aussi.
Le recours à l’émotion, à la recherche de pitié et d’empathie, le larmoiement en poésie, le pathos m’indisposent donc énormément ; dire son mal-être n’est pas un vice ( je n’y échappe pas), sauf quand le but évident est de toucher et d’attendrir à toute force. Mais plus que tout, c’est la prétention que je lis, l’esprit clanique poussant à n’aimer que ceux qui écrivent comme soi, la propension à se nourrir de commentaires outranciers qui m’éloignent d’une expression que j’aimais vraiment. De la même façon que la littérature autocentrée très présente dans les parutions françaises me pousse à chercher hors hexagone de quoi me nourrir plaisamment. La fiction me manque donc et j’écris de moins en moins, ce qui n’est pas dommage : les candidats sont si nombreux !
Heureusement, le monde est vaste et les surprises sont légion pour qui sait se détourner de ce qui le lasse…