J’en sais plus sur ce que mange et pense madame X  et sur tous les endroits qu’elle visite que je n’en ai jamais su de ma propre mère. Avant,  les choses données en surface ne révélaient guère d’intime, des générations de taiseux gardaient leurs secrets. Je sais même que madame X a la poitrine haut perchée et des hanches  curieusement charpentées et qu’elle pose toujours dans un maillot de bain rouge. J’ai pu noter aussi sa prédilection pour les plats en sauce éclairés de bougies dans des auberges un peu perdues. Tendance zen et prédilection pour les aphorismes bouddhistes. Avec un peu d’entraînement, je pourrais sans doute déduire la pointure de ses chaussures et savoir pourquoi il y a un petit côté matador dans ses vêtements. Mais en réalité, ça ne m’intéresse pas. Le cerveau enregistre machinalement ce que je lis ou regarde, fût-ce d’un œil très distrait et en retient ou traduit ce qu’il veut,  bien que je ne lui demande rien. D’aucuns voyant passer mes propres publications souligneront un côté narcissique et addictif pour le chocolat ou ma tendance à rire de tout qui passe toujours pour de la frivolité et cela ne les intéressera pas plus. Mais c’est peut-être pour cela que parfois des gens se plantent devant vous et vous disent qu’ils vous ont déjà vu quelque part ou que vous leur rappelez quelqu’un. La dernière fois que c’est arrivé, j’ai rappelé à quelqu’un une femme croisée en Australie. Je lui ai dit « c’est bien moi » avant de tourner les talons et de me fondre dans la foule. Ça l’a scié.