Depuis qu’elle ne crie plus, la petite fille de l’escalier parle sans jamais s’interrompre. Une sorte de magma vocal assez peu compréhensible mais qui s’écoule en interminable ruban. Elle parle, même quand elle est seule et sa prosodie est étonnante, pleine de rebondissements et de saccades. J’ai noté qu’elle parle fort, qu’elle porte sa voix comme une actrice  sur les planches. Dans le jardin, elle ne s’interrompt pas ou à peine pour jouer ; c’est comme si tout ce qui était resté coincé longtemps dans son larynx cherchait à en sortir, un fleuve sans embouchure, mouvementé et miroitant.

J’aimerais bien comprendre ce qu’elle raconte ainsi,  les soliloqueurs jeunes ou vieux ne sont pas des machines cassées hoquetant un vide intérieur ou un mal dont ils ne sont pas remis. Des choses mystérieuses habitent ces paroles, la boîte de Pandore révélant au grand jour les méandres gris du cerveau et ses élans. Moi qui ne suis bavarde qu’avec mes amis et accoutumée au vrai silence, c’est-à dire celui où on ne parle pas du tout, j’aime à attraper dans mon filet ces petits élans volatiles,  ces cadavres exquis emplis de drôlerie et plus profonds souvent que je ne m’y attends. Et ces petites phrases qu’on vous lance sur le chemin, et qui parfois sont tendres et douces. Comme ce «  je me souviens de vous et je suis content de m’en souvenir «  entendu ce matin d’un monsieur inconnu, et simplement croisé deux fois.