
Je n’ai pas vu passer beaucoup de monde, non
À peine deux graffeurs encapuchonnés de bleu
Et le tintement sec de leurs bombes à retardement
J’ai vu passer des hommes qui couraient
Comme des petites filles, leurs genoux entrechoqués
Et les coudes au creux de leur taille
Des femmes trottinant avec leur queue de pouliche
Battant le métronome sur leurs épaules
J’ai vu des cyclistes emmitouflés
Un chien à manteau, des enfants rieurs
Les rives étaient vides et le vent s’enlisait
Sur le pont des péniches désertes
Un air glacé précipitait ma marche
comme si le sang figé demandait à pulser
plus vite, plus fort, plus crûment
comme si jamais je n’avais eu froid
comme si je m’étais endormie pendant
tant d’années
Nous marchions, nous courions
Peu nombreux et sûrs de nous-mêmes
Mais près du pont il y avait un homme
Et ses mains nues volaient autour d’un feu
Un maigre feu hâtif, renâclant, misérable
Un feu pour rester là, à l’arrêt, sans abri
Pendant que nous courions
Pendant que je marchais
Chétivement humaine, incapable d’oublier
Les maigres lames de feu tranchant
Du froid le vif