« Qu’est-ce que c’est que ce temps ? » Devant moi, précautionneux, cheminait un vieillard. Un de ces vieux d’antan à jabot de dindon, la glotte reposant sur un col faïencé. Le silence était tel dans la rue qu’un scarabée volant faisait entendre un bourdonnement de bombardier. « Qu’est-ce que c’est que ce temps ? » grommelait le vieux mais il avançait pourtant, poussant sa canne devant lui avec la raideur d’une poupée mécanique. Le pire est que je marchais quasiment comme lui, glissant mes pieds sans presque actionner la cheville. Nous avions chaud, en effet. Un ciel sulfaté exhalait sa mauvaise haleine sur nos dos. Nous étions deux obstinés à marcher tandis que derrière les volets clos, les ventilateurs célébraient l’Assomption de quelques assoupis. Je n’osais le dépasser, de crainte qu’il croie que je me moquais de lui, et d’interrompre son mantra qui semblait maintenir son énergie.  Je me disais que la même question m’habitait mais avec bien d’autres habits et à ce moment-là, une image subliminale se leva dans mon esprit.  C’était un homme des cavernes, la lippe retroussée sur de rares chicots, qui avançait loin devant nous. Je ne compris pas ce qu’il maugréait mais à un moment il leva vers le ciel son bâton dans une sorte de geste incantatoire. Puis, il reprit son avancée, ses jambes torses soutenant péniblement un buste amoindri. Je compris que nous faisions partie de la boucle éternelle des entêtés qui avancent parfois sans n’y comprendre rien et mue par un élan de sympathie, je poursuivis ma lente progression en chantonnant « Qu’est-ce que c’est que ce temps, qu’est- ce que c’est que ce temps ! »