Outrenoir – Pierre Soulages

Je n’avais guère envie d’y aller. M’attendant à un recul, puéril, une non immersion, une impossibilité d’entrer dans la matière. Et comme toujours, habitée par l’horreur de ces groupes déambulant, audiophone à l’oreille, ou suivant docilement un guide à voix haut perchée, débitant des sottises ou des platitudes savantes, et qui vous empêchent au final de découvrir à l’état brut l’œuvre qui vous est montrée.

Pierre Soulages donc, et tout ce qui se dit de lui. Oserais-je le dire ?  Je flairais dans cette expo du MBA de Lyon une forme de supercherie.   Le génie qui ne titre pas ses toiles, l’apôtre du noir et blanc, de l’outre matière, dont pourtant les mots, puissants, suscitent l’intérêt.

C’est donc un pas suspicieux que j’ai posé dans le hall ; noir, comme les toiles accrochées ; Noir, peu éclairé et accompagné (Ô ironie !) d’une gardienne de musée noire, elle aussi, quoique coiffée de rainures blondes assez semblables dans leur tracé, aux stries du maître…..où se niche le raffinement, je vous le demande.

Puis, plus loin, des murs, blancs cette fois, où éclate la matière. Jeu de matité et d’éclat lumineux dans les pleins et les creux, Et toujours, cette masculinité géométrique, cette dynamique rectiligne, ces griffures. Pas de rondeurs ni  de courbes, jamais…..

J’ai dû mettre mes mains dans mes poches, tellement j’avais envie de toucher.  Cadres noirs épais, où la peinture se reliefe, se travaille, ce n’est pas de la peinture, c’est de la peinture sculptée, la nuance est de taille ….on pourrait y voir du marbre, de l’ébène, du charbon. Et ce qui est bizarre, c’est que dans cet appel de la lumière, le noir devient vraiment une couleur, on y voit du gris, de l’argent, et du blanc…..

Un désert, ce noir, ou une terre promise, dont les contours ne se tracent pas. On s’y perd ou plutôt  on s’en imbibe, et comme devant une estampe japonaise, l’épure devient un chemin vers l’insaisissable.

Impossible de crier au génie, ou il est alors de simplicité ! Et pourtant, ça fonctionne ! Je suis ressortie de là avec un sentiment de plénitude et de voyage, un grand calme ….blanc !

A propos Phédrienne

Je suis ce que j'écris, ce que je vis, et réciproquement, cela suffit sans doute à me connaître un peu :)
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7 commentaires pour Outrenoir – Pierre Soulages

  1. Comme quoi il est bon de surmonter nos préjugés 😀

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  2. A mon tour de réagir à ton papier. Oui, pas de préjugés. Perso, j’avais juste envie de voir, envie d’approcher ce qui semblait être un phénomène, quelque chose de puissant… « Soulages, c’est quelque chose »… mais quoi ? Des lignes, peu de couleurs, une vague idée. J’avais envie de comprendre sans préjugés. Et je dois dire que j’ai été bluffée. Rien à voir avec les reproductions que l’on peut trouver ça et là qui ne peuvent rendre ni la couleur, ni la matière, ni l’épaisseur, ni l’échelle, ni la plastique. Bien-sûr outre-noir c’est noir, mais étrangement jamais sombre. C’est sensible et fort, simple et élaboré, un peu systématique mais jamais ennuyeux. Personnellement, j’ai aimé l’énergie qui émane de ces toiles. Je me suis laissée porter par ces ondes infiniment obscures et lumineuses. Il est possible que j’y retourne, espérant y trouver moins de monde pour mieux en profiter.
    Claire

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  3. On regardera Soulages comme on regarde aujourd’hui Bouguereau car au-delà des apparences ce sont l’un et l’autre des peintres académiques et pompeux dont les toiles transpirent le vide. C’est ce que traduit la fin de votre article quand vous dites être ressortie de l’exposition avec le sentiment d’éprouver un calme blanc. Un drap mis à sécher sur un fil dans un gentil jardin fera beaucoup mieux l’affaire, surtout si une brise printanière s’en vient à l’animer délicatement. Par ailleurs je vous trouve injuste de mêler les estampes japonaises à tout cela : outre le fait qu’elles n’ont jamais pris ces tailles monumentales, elles étaient produites à de nombreux exemplaires ce qui en dit long sur leur modestie intrinsèque. Il y a un art infiniment plus consommé dans n’importe laquelle des 53 vues du Tokaïdo que dans aucune toile de Pierre Soulages, en dépit de tout ce que la doxa du marché de l’art ne cesse de proclamer. Vous devriez faire beaucoup plus confiance à vos sentiments, à votre coeur. Le coeur de Colette Fournier en sait infiniment plus long que tous les Diafoirus de la critique d’art contemporaine.
    Si vous avez le temps lisez http://www.fibrillations.net/Pierre-Soulages-crepuscule-d-une‎ idole. Mais vraiment si vous avez du temps à perdre car votre propre travail est beaucoup plus important.
    J’aime bien vos photos et votre photo.

    Viémon de la Véga, cordialement.

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    • Phédrienne dit :

      Bonjour Viemon
      Merci de vous être arrêté sur cet article et d’y répondre à votre façon complète et fine. Je partage votre sentiment en partie : la postérité effacera sans doute ce travail tout comme elle en a laminé tant d’autres et je n’ai pas particulièrement apprécié les propos de l’homme. J’ai juste été étonnée de ressentir quelque chose là où j’attendais peut-être une crise de fou rire et de dérision comme celle qui m’a saisie tout dernièrement au Mac de Lyon devant une expo de toiles lamentables. Je suis assez primitive vous savez ! Et n’écoute des œuvres que ce qu’elles me disent en direct, l’écho qu’elles soulèvent, tout en cherchant quand même à éduquer mon jugement, à comprendre. J’irais donc lire votre lien parce que je suis curieuse et aime à saisir les mains qu’on me tend ! Pour les estampes, je bats ma coulpe aussi, sans fausse honte. Peu de vrai parallèle en effet entre ces œuvres délicates et complexes et si je puis dire l’œuvre au noir de Soulages ! Merci d’avoir rectifié le tir avec votre élégance.Et pour votre appréciation pour mon travail qui est aussi ma vraie passion.

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