Le beau qui rend méchant…petite philosophie de boudoir, acte II

Dans mon club photographique (je dis mon club par abus de langage, hein …), l’ambiance frôle le survoltage et l’heure est grave : un jeune photographe zélé et convaincu s’essaie à initier une assemblée rétive et peu aimable, à la pratique de la lecture d’images. Exercice routinier pour un club digne de ce nom, mais qui soudain dérape un peu, lorsqu’il est question de données artistiques et esthétiques.

Tant que l’exercice se limite aux règles de composition classiques, les choses sont assez claires et le catéchisme photographique passe plutôt bien : 80 pour cent des gens lisent une image de gauche à droite et de haut en bas, il faut respecter le nombre d’or, la symétrie et ne pas travailler quand il fait gris ! Je passe sur les nombreuses suites de cette énumération, que l’on trouve dans tout bon manuel de pratique photographique ! Amen !

Mais, hélas, un os perfide et compact vient vite se glisser dans ces rouages et parasiter la lumineuse démonstration, dès lors qu’on aborde le champ artistique  et conceptuel. Ben tiens, qu’est-ce donc que ce truc là ? Sur l’écran géant du club, deux photos de paysages énigmatiques font en effet débat : est-ce encore un paysage, que cette vue noire et blanche, brumeuse et trouble d’un long lacet qui serpente vers nulle part ? Est-ce encore une photo, cette création graphique d’un paysage marin où une maison s’estompe entre des touffes d’herbes sauvages (pas nettes) sous un  ciel hachuré et texturé, comme on n’en voit nulle part ?

Ce n’est même pas beau, c’est une de mes voisines qui le dit ! Où, comme le bougonne un monsieur qui s’agite sur sa chaise, c’était sûrement une photo moche qu’on a essayé de rafistoler à grands coups de Photoshop ! Ou pire, ainsi que le suggère un troisième, une belle photo qu’on a enlaidie !

A aucun moment, il ne semble venir à l’idée de quelqu’un que ces compositions résultent d’un choix assis, conscient et travaillé. A aucun moment non plus, nul ne se demande basiquement pourquoi ces images ne lui plaisent pas ? Nom d’un petit bonhomme, il y a sûrement des raisons, derrière cette agitation….et après tout, n’a-t-on pas le droit de dire simplement, qu’on ne trouve ça… pas beau ?

Pas si simple ! Ces photos primées à un concours ont donc acquis une forme de légitimité. Le quidam qui décidément ne les aime pas, se trouve donc pris entre plusieurs feux, tous brûlants : qui de lui ou du jury a donc raison ? Est-il un rustre, un ignorant ? Un incompris ?

D’où l’énervement subit qui monte par vagues folâtres et renvoie vers le malheureux animateur de la soirée ses ondes maléfiques ! Que diable est-il venu faire dans cette galère ? Je crains un instant qu’il ne reçoive quelque chaise sur sa tête ! Il y aurait bien eu peut-être un tout petit moyen pour calmer le jeu : l’art est quand même quelque chose sur laquelle personne, mais alors personne n’est vraiment d’accord ! Ce ne sont pas les philosophes qui me contrediront ! Et c’est justement ce qui fait son intérêt : n’être réductible à rien et non enfermable  dans des bréviaires, quoi qu’on veuille ! En vérité, je vous le dis, pas de raison d’être méchant !

A propos Phédrienne

Je suis ce que j'écris, ce que je vis, et réciproquement, cela suffit sans doute à me connaître un peu :)
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5 commentaires pour Le beau qui rend méchant…petite philosophie de boudoir, acte II

  1. Merci Phédrienne, j’ai bien ri, même si un peu jaune 😀
    Nous disons bien que la musique (donc l’art par extension) adoucit les mœurs.
    M’aurait-on donc menti 😀 ?

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  2. Bien dit ! Bon, et bien je suis bien heureuse de n’être pas de ceux-là !
    Quel affolement et quel CLUB ! et quel partage !
    La photo, c’est d’abord de la lumière, et chacun n’est-il pas libre de l’interpréter à sa façon ? N’y a t’il donc qu’une technique, une façon de lire, de représenter le monde, n’y a t’il qu’une esthétique valide ?
    D’accord, pas d’accord… sensible, pas sensible ? On n’a pas tous les mêmes avis ? Tant mieux, parlons-en sans risquer le pilori.
    A tous ces chagrins qui ne sont satisfaits qu’en voyant que ce qu’ils comprennent, j’ai juste envie de dire : Restez comme vous êtes, sclérosés, et s’il vous plait n’empêchez pas les autres de choisir d’autres expressions et de marcher dans d’autres voies que les vôtres.

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  3. Phédrienne dit :

    Bonjour Claire
    Oui, tout le problème est là: avoir le droit de ne pas aimer ou de ne pas être sensible à une expression ne doit pas aller au refus brut et à la fermeture…..il y a de la place pour tous les langages;
    Amitiés

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