C’est pour ce bout de terre qui résiste vaillamment à l’emprise citadine, ce jardin de 100 ans qui m’a inspiré une nouvelle jamais publiée, que j’ai acheté mon nid de coucou. Il est bien petit, ce jardin, peut-être 300 mètres carrés les jours de bonne humeur. De vieux troncs et des rosiers fatigués y côtoient des tulipes, des pensées, des iris majestueux et fragiles, un banc de pierre qui semble sorti du paléolithique. Le jardin est étroit, sa longueur ouvre une petite fenêtre différente sur la ville qui s’impose entre les branches, derrière le toit de la cabane à outils, la remise à vélos. Cela ne fait rien. C’est le seul endroit de la ville où je vois claquer des draps et des culottes au vent ; cela n’a l’air de rien, mais dans les ensembles immobiliers modernes, nul n’a le droit de faire ce geste iconoclaste, encore moins celui de planter un potager. Ici la rébellion potagère se borne à planter quelques tomates et des herbes aromatiques qui fleurent bon. Le persil et la sauge y sont donc meilleurs, c’est tout vu. Quand ma tendance claustrophobe me taraude d’un peu près, mais que je ne peux pas aller courir au vent, c’est donc là que je reprends mon souffle, assise dans l’herbe, accolée à un tronc, forçant mon regard à se concentrer sur le vert, le feuillu, le fleuri et à oublier le reste. Curieusement, nous sommes peu à profiter du lieu. Le chat sans maître et moi nous en sommes plutôt ravis. Avoir un jardin tout à soi, c’est un peu égoïste, mais cela donne l’illusion de nourrir avec lui un lien particulier, une connivence. Peu à peu, il est devenu un ami.