Métro Flachet

J’ai voyagé entre deux hommes le nez collé à leur écran. L’un pulvérisait des monstres, le pouce de l’autre faisait défiler des pages et des pages où des filles à forte poitrine souriaient avantageusement. Je n’aurais pas dû regarder mais en face de moi un adolescent taciturne mâchonnait son chewing gum, un vieux dodelinait de la tête en se raclant la gorge, une femme regardait obstinément mes chaussures de marche qui sont aubergine, ce qui ne se voit pas souvent.

A la station d’après une femme est entrée, poussette en avant où s’agitait un bambin qui regardait sur sa tablette un chien sauter rythmiquement pendant que la mère tapait à deux pouces sur son propre téléphone. 4 contrôleurs lui ont emboîté le pas ; l’un deux consultait sa  montre électronique pour vérifier ses battements de cœur en faisant des grimaces tandis qu’un autre passait les billets dans un boîtier. Les deux derniers étaient étrangement silencieux, au point que le chien qui accompagnait un jeune huron sorti d’un autre âge n’a pas même osé grogner.  Il faisait chaud, très chaud dans la rame où j’ai fini par fixer moi aussi le bout de mes chaussures, parce qu’il me semblait que mes deux mains à moi, inoccupées,  mon regard à moi, toujours prompt à s’étonner de tout, toujours curieux de ses semblables, mon seul front levé contre toutes ces têtes basses, constituaient une forme d’anomalie majeure au milieu de toute cette concentration. Heureusement, alors que je m’apprêtais à me pincer pour me sortir de cette dangereuse léthargie, un cri lourd de souffrance retentit : « Merde, plus de batterie ! ». La rame s’ouvrit alors et je retrouvai la solidité irréductible du quai, métro Flachet.

A propos Phédrienne

Je suis ce que j'écris, ce que je vis, et réciproquement, cela suffit sans doute à me connaître un peu :)
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