L’homme heureux n’a pas bonne presse. Sa sérénité et sa bonne santé mentale inspirent de la suspicion. Alors que le cynique est réputé intelligent, ce que pourtant il n’est pas toujours, l’homme heureux serait un sot et/ou un indifférent que la misère du monde laisse froid. Chercher le bonheur est au mieux illusoire, au pire le signe d’une insuffisance intellectuelle et d’un sérieux manque d’ambition. Contrairement aux métaux précieux la rareté du bonheur le dessert et sa cotation en bourse frise le zéro. Écrivez sur votre douleur et on vous prêtera du talent. Écrivez sur le bonheur et vous serez frivole voire inconsistant et parfaitement ennuyeux. Moi, j’ai un ami heureux.   Un seul, c’est un fait. Un homme équilibré qui a toujours défendu tranquillement son bien-être et son bien-vivre, ce qui ne l’empêche pas d’être généreux. Souvent son entourage s’en est agacé comme d’une sale manie. Sa propre femme ne manque pas de s’en irriter car elle est moins douée que lui. Moi, je l’ai toujours regardé avec plus de plaisir que d’envie, car enfin, le spectacle d’un homme heureux est très agréable. J’ai également compris que cet équilibre, loin d’être le fruit du hasard, résulte tout à la fois de sa volonté et de son énergie. En le voyant, en l’écoutant, je me dis toujours que le bonheur est donc possible quoi qu’on veuille prétendre. Puisque l’homme, nous dit-on, est malheureux depuis des millénaires, je ne crois pas que vouloir être heureux soit ridicule ou vain. Je trouve même que cela devrait être un vœu plus répandu. J’aime donc voir cet ami et lui parler. Il est roboratif et consistant et son sourire est sincère. J’ai la chance qu’il m’aime bien alors que côté bonheur je suis à côté de lui ce qu’on appelle un petit bras. Mais comme lui je persévère, dans mon propre entêtement.